Un peu de théorie
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1. L' OUTILLAGE LEXICAL
En hommage au maître de l'enseignement du lexique français aux étrangers qu'est Robert Galisson, j'offre quelques réflexions sur le caractère instrumental des mots que la langue met à notre disposition pour nous exprimer. J'utiliserai pour cela l'expérience acquise grâce à mon Dictionnaire du Français Usuel, élaboré avec l'aide de Jean-Claude Rolland, linguiste, ex-chargé d'études au CIEP de Sèvres, ex-attaché de coopération pour le français à l'Institut français de Valence, Espagne.
1. UN NOMBRE LIMITÉ D'OUTILS POUR UN NOMBRE ILLIMITÉ D'OPÉRATIONS
1. 1. Sur les 70.000 entrées du Littré, sur les 40.000 entrées (environ) d'un dictionnaire de taille moyenne, il en est un petit nombre que tout francophone utilisera quotidiennement et même plusieurs fois par jour, qu'il parle ou qu'il écrive, un nombre non négligeable de mots qu'il utilise de temps en temps, dans la vie courante quand l'occasion s'en présente, et un grand nombre que, si savant soit-il, il n'emploiera jamais, dont il a une certaine connaissance passive, ou dont il serait bien en peine de donner une définition même sommaire. Ce sont des mots sans fréquence significative dont beaucoup sont des termes, mots de spécialités, utilisés par les seuls spécialistes. Est-ce regrettable ? Bien sûr que non ! C'est dans la nature des choses. Une boîte à outils ne doit pas être trop encombrante et un atelier ne peut pas posséder toutes les machines de la terre. La misère est paralysante, la pauvreté rend ingénieux, une honnête aisance facilite la vie, la surabondance peut devenir encombrement.
Les diverses listes de fréquence nous donnent une bonne idée de ce qui est vraiment usuel et de ce qui ne l'est pas.
1. 2. La fréquence des mots est tributaire de la nature du corpus dépouillé et il y a des différences considérables d'une liste à l'autre ; c'est un objet empirique, comme toute donnée statistique faite d'après un échantillon. Il en existe diverses listes, toutes faites d'après des corpus écrits à l'exception d'une seule, celle du Français fondamental, qui a pris en considération un certain nombre de transcriptions de l'oral. Mais, avec des différences de détail dans l'ordre des mots, on constate une convergence importante des listes fondées sur des corpus littéraires jusqu'au rang 800 ou 850.
1. 3. La liste de fréquences du Trésor de la Langue Française ou TLF est fondée sur un corpus de 90 millions d'occurrences (70 millions provenant de textes littéraires de 1789 à 1965 et 20 millions de textes non littéraires) représentant environ 70 000 vocables, base incomparablement plus importante qu'aucune des autres. Elle a été étudiée statistiquement par Etienne Brunet qui a calculé que les mots de fréquence supérieure à 7000 qui sont 907, couvrent 90 % du corpus. Ce sont ces mots-là que nous appelons "mots de haute fréquence" ou "hyperfréquents". Une fois éliminés les mots grammaticaux, restent quelque 750 mots lexicaux, dont la plupart, faiblement connotés, sont de ceux dont la phrase française ne peut pas se passer. Suivent environ 5800 mots de fréquence inférieure à 7000 et supérieure à 500 qui représentent à peu près 8 % de l'ensemble. Donc, 6707 mots ont suffi pour dire 98% de tout ce qu'ont voulu signifier les auteurs dont les œuvres ont été dépouillées pour la constitution du TLF. Est-ce à dire que les 2% restants, soit 64033 vocables dont 21000 sont des "hapax" qui n'apparaissent qu'une fois sont négligeables ? Certes pas ! Ils apportent beaucoup d'information dans des domaines particuliers. Mais enfin, ils ne constituent pas la première urgence dans l'apprentissage de la langue française. Beaucoup d'entre eux s'acquièrent "en situation", quand on en a besoin dans une circonstance particulière.
Nous nous représenterons donc les mots de grande et moyenne fréquence comme des outils très performants, très économiques, mis par la langue à la disposition de ses usagers pour s'approprier et exprimer la quasi totalité de l'univers extérieur qui les entoure et de leur univers intérieur.
1. 4. Nous avons pris la liste du TLF pour guide, non pour maître. Nous avons pris avec elle certaines libertés, éliminant la plupart des mots grammaticaux et quelques mots de fréquence supérieure à 7000, désuets ou présentant peu d'intérêt sémantique (titres de noblesse, Monsieur, Madame ) ; nous en avons regroupé certains autres (vivre et vie, savoir et connaître) et intégré certains qui n'atteignaient pas le nombre de 7000 occurrences à eux seuls, mais le dépassaient en y additionnant celui de leurs dérivés (ex. le verbe couper). Nous arrivons ainsi à un nombre de têtes d'articles de peu inférieur à 500 qui nous fournissent les structures nécessaires pour regrouper un nombre de mots de moyenne fréquence qui devrait tourner autour de 10.000 et qui feront, bien entendu l'objet de renvois dans un index. Ce nombre, très supérieur aux 6707 ci-dessus, nous paraît tout à fait suffisant pour un vocabulaire "usuel".
1. 5. L'utilisateur ne devra donc pas s'attendre à y trouver rapidement le sens et l'orthographe d'un mot savant et rare : phanérogame, par exemple. Il n'y est pas. Et s'il cherche des renseignements sur un animal peu familier aux Français, mettons, le mouflon, il sera déçu. Il ne le trouvera pas à sa place alphabétique, ni même dans l'index. Qu'il consulte, pour ce genre de mots, le Petit Larousse ou le Petit Robert. Le Petit Picoche a une autre orientation ; ce n'est pas un dictionnaire de consultation ponctuelle, mais un dictionnaire d'apprentissage ; moins un dictionnaire de décodage que d'encodage. Ce n'est pas une encyclopédie, c'est un dictionnaire de langue, présentant les mots dans leur fonctionnement linguistique.
Les auteurs, qui n'ont pas honte d'être des Français de France, savent que ce qui est usuel à Paris ne l'est pas toujours à Québec ou à Dakar et vice - versa. Ils ne ne se dissimulent pas que la notion d' "usuel" est en partie subjective et que tel mot usuel pour l'un ne l'est pas pour un autre. A cette objection, ils répondent que les séries lexicales sont ouvertes par nature et, à la différence des séries morphologiques, peuvent toujours admettre de nouveaux items : nous ouvrons des pistes et ne dressons pas de barrières. Il est loisible à tout utilisateur d'allonger nos listes par les mots familiers de son idiolecte.
2. LES GROSSES MACHINES SÉMANTIQUES
2. 1. Ce sont les mots hyperfréquents, qui sont également parmi les plus polysémiques de la langue. Ils servent à dire toutes sortes de choses, et la première de nos tâches est de donner de cet ensemble de possibilités un panorama ordonné et intelligible.
L'expérience nous a montré qu'il existe deux types d'articles fondamentalement différents :
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les verbes,
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les noms à référents concrets.
La majorité sinon la totalité des noms abstraits reposent sur des structures verbales : on ne peut pas définir les mots repas et aliment sans avoir défini préalablement le verbe manger.
La majorité des adjectifs sont des dérivés : familial, reposant sur famille, et ceux qui ont un caractère fondamental, adjectifs de sensations ou de sentiments, reposent aussi, en dernière analyse, sur des structures verbales : dans la définition de dur, interviendront nécessairement les verbes appuyer, résister, casser etc.
Les verbes ont besoin de noms et les noms ont besoin de verbes pour fonctionner. Il existe une isotopie sémantique évidente entre le verbe et les noms qui lui servent de sujet et de compléments ; tout nom ne s'associe pas à n'importe quel verbe ni vice-versa. De même tout nom ne s'associe pas à n'importe quel adjectif ni vice-versa. L'étude et la mise en lumière de ces compatibilités est évidemment une partie importante de notre tâche.
Mais c'est le verbe qui structure la phrase et offre aux noms les places qu'ils occuperont. On ne sera donc pas étonné de la prédominance des verbes dans les hyperfréquents utilisés comme entrées : 178 verbes, 127 noms abstraits, 67 adjectifs, 9 adverbes et prépositions, et seulement 73 noms ayant un référent concret au moins pour une partie importante de leurs emplois. Le caractère abstrait et verbal des mots de haute fréquence saute aux yeux. Les mots à référent concret dénotent pour la plupart des objets particuliers qui ne sont nommés, de façon aléatoire, que lorsque le contexte et la situation l'exigent, d'où leur rareté statistique. Dans le domaine animal, par exemple, nous ne trouvons, parmi les hyperfréquents, que les mots animal, bête, oiseau, chien et cheval. Les noms des animaux les plus familiers seront donc regroupés sous ces entrées et sous quelques autres, sans aucune recherche d'exhaustivité ni de précisions zoologiques.
2. 2. Les noms concrets hyperfréquents désignent des réalités tout à fait basiques : les quatre éléments, le jour et la nuit, le soleil et la lune, le ciel, la terre et la mer, les parties du corps, la maison, etc. Ils nous posent le problème de l'encyclopédisme. Soit l'article soleil et lune sous lequel on trouve équinoxes, satellite, éclipse, rayonnements, radiations, les mots en hélio- et les quatre points cardinaux. Allons-nous faire une leçon d'astronomie ou de physique ? Certainement pas. Soit le mot cheval : allons nous intégrer ce qu'en disent les zoologistes et les moniteurs d'équitation ? Pas davantage. Par contre nous collectionnerons soigneusement les locutions fort nombreuses du genre donner un coup de collier, prendre le mors aux dents, mettre le pied à l'étrier etc., nous les éluciderons, nous les classerons et elles nous serviront de guide pour sélectionner, dans l'ensemble du vocabulaire du cheval les mots qui permettent de parler aussi de choses abstraites non chevalines, bref, ce qui a le plus d'intérêt linguistique. Notre point de vue n'est nullement encyclopédique, parce que notre but est de montrer le fonctionnement de la langue et non d'apporter un enseignement sur le monde extérieur. Toutefois, nous ne pouvons pas l'éviter entièrement, les mots "concrets" étant le point d'ancrage de la langue sur l'univers. Nous ferons donc état de quelque savoir en étudiant le vocabulaire de ces réalités extra-linguistiques, mais d'un savoir commun, qui ne dépassera pas celui du non-spécialiste moyen.
2. 3. Les verbes sont définis à la a 3e personne du singulier du présent de l'indicatif avec tous leurs actants, notamment le sujet, difficile à faire apparaître dans une définition à l'infinitif.
Nous appelons actants le sujet et les compléments essentiels du verbe, entendus dans un sens plus large que celui de Tesnière à qui ce terme est emprunté. Chaque actant est désigné par un A suivi d'un numéro : A1 est toujours le sujet dans la phrase de base la plus simple, A2 le complément d'objet quand il existe, A3, A4, et même davantage, les divers compléments appelés par la plus ou moins grande complexité sémantique et syntaxique du verbe.
Les différentes formes syntaxiques que peut revêtir un actant est précisée si besoin est.
Ainsi dans A1 humain comprend A2, on peut avoir :
A2, nom abstrait : Jeannot comprend son problème de géométrie
A2, que + phrase : Marc comprend qu'Alice le trompe
A2, interrogative indirecte : Eric comprend comment fonctionne le moteur à explosion
L'actant conserve toujours son numéro, quelles que soient les transformations syntaxiques dont il puisse être l'objet : ainsi A1 reste A1 s'il passe de la fonction sujet à celle de complément d'agent. Ces A1, A2, A3 reçoivent des spécifications larges telles que humain, animé, concret, abstrait, ou plus précises, telles que femme, enfant, vêtement, aliment etc. Ce sont des symboles vides que l'utilisateur est amené à saturer par tous les mots possibles, dans les limites des spécifications indiquées.
On peut ainsi mettre en lumière de façon précise des relations sémantiques entre des mots de catégories syntaxiques différentes, ce que ne permettent pas d'autres méthodes d'analyse du sens, notamment celle de l'analyse sémique.
2. 4. les différentes grandes parties de l'article reposent sur les diverses configurations sémantiques et syntaxiques dans lesquelles apparaît un verbe polysémique, comme le sont pratiquement tous ceux qui nous servent d'entrées.
Pour éviter que nos articles n'aient un aspect "algébrique" rebutant au premier abord, chacune de nos parties commence par un exemple-type, phrase des plus simples, doublée ensuite de la "structure actancielle" abstraite servant de base à nos définitions. Celle-ci est destinée à corriger ce qu'un exemple a toujours de trop particulier, et invite l'utilisateur à saturer à son gré les différentes places signalées.
Ainsi, pour prendre un exemple simple, le verbe annoncer n'a que deux parties, qui commencent ainsi :
I. Je vous annonce qu'il va y avoir de l'orage
A1 annonce A2, évènement futur, à A3 humain
II. Le coureur de Marathon annonça aux Athéniens que la Grèce était sauvée
A1 annonce à A3 A2, fait présent ou passé connu de A1 mais inconnu de A3
2. 5. Ce que nous appelons champ actanciel est l'ensemble des mots de moyenne ou basse fréquence qu'on peut rattacher à ces structures de base par divers procédés simples : nomination et qualification des actants, nominalisation du verbe, dérivation, synonymes et antonymes. On remarque que dans la première partie A1 n'est pas spécifié, parce qu'il peut s'agir d'un être humain ou d'un simple signe météorologique ou autre ; dans la seconde, au contraire, A1 est humain et même, dans les sous-parties, spécifié plus précisément : professionnel de l'information, professionnel de la publicité etc.
Dans la première partie de l'article Annoncer, nous trouvons prédire et prédiction, prévenir, avertir, aviser, présager, présage, augurer, préluder, signe avant-coureur, annonciateur et tout un vocabulaire religieux autour d'actants spécialisés dans la prédiction de l'avenir : les prophètes qui prophétisent, les augures, les oracles, et l'Annonciation etc.
Dans la seconde partie nous trouvons proclamer, diffuser, déclarer, l'annonce et l'annonceur, le messager et son message, le communiqué, la publicité etc.
Encore n'avons nous là choisi qu'un exemple très simple. Dans des articles plus complexes la grappe ou si l'on préfère la constellation de mots de catégories grammaticales diverses ayant entre eux des liens sémantiques faciles à préciser prend un développement beaucoup plus considérable.
2. 6. Parmi les mots de moyenne fréquence qui se trouvent regroupés dans un champ actanciel, certains ont leur propre polysémie qu'on s'efforce de traiter soit à l'intérieur du même article, soit dispersée entre plusieurs articles. Quoiqu'il en soit, nous ne nous astreignons pas à traiter à fond tous les mots de moyenne ou basse fréquence, pas plus qu'à donner systématiquement tous leurs dérivés. Notre but est aussi de faire des articles maniables qui ne soient pas d'une longueur excessive. Et même ainsi, certains sont déjà très longs.
3. LE DÉMONTAGE DES MACHINES
3. 1. Pour comprendre comment sont faites les machines, donc pour pouvoir les démonter et les remonter, éventuellement en construire d'autres avec des mots de moyenne fréquence insuffisamment traités ou trop dispersés, il faut avoir à sa disposition et savoir manipuler au moins deux outils : le concept de subduction, d'origine guillaumienne, et celui de transduction qui est son complément naturel. Ils n'expliquent pas la totalité des polysémies mais en expliquent la plupart. Ils permettent de prendre conscience de la manière dont les sens s'engendrent les uns les autres et de les ordonner selon une "chronologie de raison", sans recourir à l'étymologie ni à la diachronie, mais en montrant par quelles étapes l'esprit doit de préférence, ou obligatoirement passer pour penser un ensemble d'emplois et de sens comme constituant un vocable unique et cohérent.
3. 2. La subduction est un processus d'abstraction et d'appauvrissement sémique, le sémème B étant l'image schématique, partielle et simplifiée, du sémème A. Il se prête tout naturellement à la comparaison et c'est celui dans lequel s'inscrit la métaphore. C'est ainsi que le corps des êtres vivants, qui peut être défini un ensemble d'éléments matériels ordonnés par et pour la vie peut n'être plus qu'un ensemble ordonné d'éléments dans un emploi comme le corps électoral ou un simple morceau de matière quand il s'agit de la loi de la chute des corps. Mais la subduction est un phénomène plus large que la métaphore. La grande polysémie du verbe devoir, entièrement abstrait, s'explique par un certain nombre d'étapes, ou saisies, sur un puissant mouvement de subduction ou cinétisme qui va de la dette d'argent à l'expression de la probabilité.
La transduction consiste à réutiliser tout ou partie d'un sémème A dans un sémème B éventuellement aussi riche, ou plus, que le précédent, cette opération pouvant facilement se répéter plusieurs fois et constituer une chaîne de transformations. C'est celui dans lequel s'inscrit la métonymie. Ainsi le mot argent désigne 1. Un métal 2. Une monnaie faite de ce métal 3. Toutes sortes de moyens de payement, métal, papier, chèque, ou simple ligne comptable. On constate d'une part que les sémèmes n° 2 et 3 ne sont en rien plus pauvres, au point de vue du nombre des sèmes que le sémème 1. et que dans la plupart des cas, il y a, au contraire, enrichissement sémique. On constate d'autre part que le lien du sémème 1. avec les autres tend à se distendre, voire à se rompre, au fur et à mesure que la chaîne des "transductions" s'allonge, alors que la cohérence sémantique reste généralement très forte dans le cas de la métaphore.
3. 3. Qu'il s'agisse de l'une ou de l'autre, il y a un ordre à respecter dans l'exposé des faits, le sens "figuré", transduit ou subduit, venant nécessairement après le sens le sens "plénier" pour les subductions, le premier chaînon de la chaîne pour les transductions, et, quand il y a un référent concret, le sens "concret" avant les sens abstraits.
La prise en considération, dans l'étude des polysémies, des figures lexicalisées, notamment des métaphores, permet généralement d'apercevoir dans le sémème du sens "propre" des traits sémantiques qui seraient autrement passés inaperçus. Les mots sont une matière souple qu'il ne faut pas figer et raidir. Les métaphores ne sont pas les mêmes dans toutes les langues. Il y a une logique interne aux polysémies, particulière à une langue donnée. C'est leur organisation qui, en grande partie, fait qu'une langue est une "vision du monde" différente d'une autre.
3. 4. C'est pourquoi il est toujours instructif de traiter ensemble des parasynonymes. comme mot et parole, savoir et connaître, bord et côté. On pourrait croire qu'il y a là une prodigalité inutile, et que la répartition obligatoire de la plupart de leurs emplois, que les apprenants doivent mémoriser sous peine de produire des énoncés inacceptables, a un caractère arbitraire, donc absurde. On peut démontrer qu'il n'en est rien à condition de prendre en compte, non pas des emplois isolés, mais la totalité de la polysémie des mots en question et de formuler une hypothèse cohérente sur le principe qui en fait l'unité ou "signifié de puissance": Dans un article portant sur les mots bord et côté (Picoche et Honeste 1993), nous avons pu montrer, à partir de leurs emplois non spatiaux, que ces mots qui en première approximation pourraient passer pour synonymes, sont fondés sur des expériences vitales absolument différentes et qu'on ne peut les définir sans trompe l'oeil qu'à partir de situations archétypiques : pour bord un sujet atteignant une limite de la terre ferme et s'y trouvant en position instable au-dessus du vide, pour côté : un sujet s'orientant dans l'espace à partir des repères que lui fournit son propre corps, notamment la droite et la gauche. Les parasynonymes expriment toujours des points de vue différents sur une même réalité.
Il est à la fois économique et éclairant de traiter ensemble des mots ayant des relations sémantiques complémentaires ou antonymiques comme homme et femme, noir et blanc, chaud et froid, vrai et faux etc. Cette manière de procéder évite de nombreuses répétitions et surtout permet de rendre plus sensibles les différences et les ressemblances sémantiques entre ces mots, leurs traits communs et leurs oppositions. Les articles à titres doubles ou parois triples (son, bruit et silence), sont donc nombreux dans notre dictionnaire.
3. 5. Mais nous nous gardons bien d'utiliser, dans le cours du dictionnaire et même dans la préface, la moindre terminologie qui ne serait pas absolument transparente pour un utilisateur qui ne posséderait en fait de terminologie linguistique que celle de la grammaire élémentaire la plus traditionnelle. Nous ne faisons état de quelques autres termes qu'à l'usage des lecteurs des Cahiers de lexicologie ! Simplicité, clarté, facilité du maniement sont nos grandes préoccupations !
4. LE MODE D'EMPLOI
4. 1. Ce livre s'adresse avant tout aux enseignants de français, langue maternelle ou étrangère, à tous les niveaux, qui auront la tâche d'adapter à leur public les matériaux ordonnés que nous leur fournissons. L'ouvrage se présente comme une série de presque 500 grandes leçons de vocabulaire à fondement linguistique et non thématique, dont il leur est loisible d'extraire de petites leçons en n'utilisant que les grandes structures, ou bien seulement une partie ou une sous partie, en limitant le nombre des mots de moyenne fréquence selon les capacités d'absorption de l'auditoire. Il s'adresse aussi aux parents qui voudraient aider leurs enfants à mieux maîtriser le français, et d'une manière générale à quiconque éprouve le besoin d'améliorer sa compétence en matière d'écriture ou d'expression orale. Ce dictionnaire est plus qu'un dictionnaire des synonymes et un dictionnaire analogique, mais il contient la substance de ces deux types d'ouvrages.
4. 2. À la différence de nombreux ouvrages destinés à l'enseignement du vocabulaire nous ne travaillons pas par thèmes fondés sur la réalité extra-linguistique, ce qui conduit trop souvent à de simples listes de noms d'objets, simple étiquetage, utile seulement pour les allophones débutants doués d' une bonne mémoire, mais pas pour les francophones ni pour les allophones avancés, à l'exception de ceux qui seraient spécialistes du domaine choisi.
Supposons qu'un enseignant, travaillant selon cette méthode traditionnelle, prenne pour thème le chauffage. Il rencontrera nécessairement le mots feu et le mot radiateur et pourra constituer le vocabulaire du parfait petit chauffagiste. Mais à vrai dire, les mots techniques, les termes propres aux différentes spécialités ne sont pas le gibier de l'enseignant de français, ils s'apprennent tout naturellement quand on pratique ladite spécialité et en ce domaine, les meilleurs professeurs sont les spécialistes.
Mais il n'aura pas l'occasion d'exposer tout ce qu'on peut dire avec le mot feu et sa famille sémantique, qui ne soit pas du feu ; il n'aura pas non plus l'occasion de rapprocher le mot radiateur de tous les mots en radi(o)- exprimant divers rayonnements, qui se trouvent dans l'article soleil. Et le jour où il prendrait comme thème les passions, il rencontrerait l'amour, la haine l'impatience, la colère, mais oublierait sans doute de parler d'une parole de feu, du feu de l'action, d'une âme ardente, de celui qui grille ou bout d'impatience...
Assurément, il n'y a rien de coupable à travailler par thèmes quand cela répond au but qu'on se propose. Celui qui voudrait le faire à partir de notre dictionnaire, devrait circuler entre plusieurs articles, à l'aide de multiples renvois qui lui seront facilités par l'index papier et par la version cédérom. Qui voudrait reconstituer un thème FINANCES aurait à circuler entre les articles DEVOIR - INTÉRÊT - OR ET ARGENT - PAYER - PRIX - VENDRE et ACHETER où chacun de ces mots est traité en profondeur avec la totalité de sa polysémie, chacun apportant un éclairage différent sur la relation de l'homme à l'argent.
4. 3. En ce qui nous concerne, nous travaillons par réseaux fondés sur des structures linguistiques, présentant les mots dans leur famille sémantique et dans leur fonctionnement, à partir de l'entier de leur polysémie. La question à laquelle nous nous efforçons de répondre n'est pas "comment nommer les différents appareils de chauffage, les différents combustibles et les diverses opérations que doit accomplir celui qui les utilise ? " - Mais, "qu'est-ce que je peux exprimer à l'aide de cette grosse machine sémantique qu'est le mot feu ?" "Quelles sont les possibilités d'emploi du mot feu et ses limites ? ". En partant de l'outil linguistique qu'est le mot feu, on enseignera une multitude de locutions qui feront prendre conscience aux enseignés qu'un même mot peut s'entendre au propre et au figuré, selon les deux grands mécanismes sémantiques à l'œuvre dans toute langue - y compris le fameux "langage des jeunes" - que sont la métaphore et la métonymie, et qu'il y a dans les mots un symbolisme sous-jacent, matière première de la poésie.
4. 4.. Cette manière de procéder permet, de plus, de travailler sur des noms abstraits et de grands verbes qui échapperont toujours à une étude par thème. Qu'est-ce que je peux dire avec ces extraordinaires outils linguistiques que sont des verbes comme faire, prendre, passer, porter, donner etc. ? Qu'est-ce que je peux faire avec des outils aussi usuels que les noms sujet et objet, méthode, système, intérêt etc. ? Procéder ainsi est non seulement utile mais encore intéressant : à propos, par exemple, du verbe apprendre, la prise de conscience globale de ses différentes possibilités (le savoir-faire, le savoir théorique et le renseignement) permet une réflexion sur l'acte d'apprendre totalement impossible si on les disjoint.
4. 5. Beaucoup des hyperfréquents sont des mots axiomes, sinon primitifs, du moins proches de la couche des primitifs sémantiques, mots qu'on peut commenter mais non définir sans circularité : ainsi la définition de voir inclut nécessairement le nom œil et le nom œil le verbe voir. On sent intuitivement que être, avoir, pouvoir, devoir s'impliquent les uns les autres, mais il n'est pas possible d'en donner une définition analytique. De tels mots sont le gibier des philosophes, et nous ne serions pas surpris qu'ils s'intéressent aussi à notre travail.
D'autre part, il y a à l'intérieur des mots d'une langue des constructions conceptuelles préfabriquées qui ne sont pas nécessairement universelles, de même que les locutions et métaphores figées ne sont pas les mêmes d'une langue à l'autre. Ce sont les produits d'évolutions historiques diverses. L'outillage est aussi un patrimoine. L'apprentissage d'une langue étrangère est, si l'on en prend conscience par un enseignement approprié, passer d'une vision du monde à une autre. Si l'enseignement du français, à côté de celui des autres langues vivantes, permettait d'en prendre conscience, l'intercompréhension en profondeur entre communautés linguistiques différentes en serait grandement facilitée.
5. CONCLUSION
5. 1. Il m'a été donné lors de contacts avec des enseignants d'école primaire de constater qu'une idée récurrente, dans leur discours, était que le vocabulaire ne s'enseigne pas comme une autre matière. L'apprentissage des mots a, pense-t-on, besoin d'une "base affective". Il faut que l'enfant en "sente le besoin" et c'est alors que l'enseignant, jusque là contraint à la passivité peut intervenir, simplement pour lui apporter l'instrument précis qui lui manquait, de préférence "en situation", ou pour corriger une erreur d'emploi. D'ailleurs, ajoute-t-on, c'est en lisant qu'on enrichit peu à peu son vocabulaire. Et les mots qu'on souligne dans les textes proposés à la lecture, ceux qu'on invite à chercher dans le dictionnaire, sont en général des mots rares et extraordinaires, les plus usuels étant apparemment considérés comme indignes d'attention. Enfin, on avance que les enfants sont incapables avant l'âge de 9 ou 10 ans, de "détacher le nom de la chose signifiée", en dépit du fait que beaucoup de mots qu'ils emploient ne désignent pas des "choses", et en dépit de l'usage abusif qu'ils font de mots comme truc, machin qui sont d'une aussi haute abstraction que sujet et objet.
5. 2. C'est s'interdire à l'avance l'enseignement systématique du lexique dont nous entendons ouvrir la voie. Notre souhait serait que, par une sorte de "révolution copernicienne", les programmes considèrent un jour le vocabulaire comme une matière d'enseignement au même titre que la grammaire ou le calcul. L'essentiel est de travailler des mots fréquents et polysémiques, pour bien clarifier les structures mentales qu'ils recouvrent, premier travail qui amène, en passant tout naturellement du connu à l'inconnu (ou au mal connu), son lot de dérivés, de synonymes et d'antonymes propres à enrichir raisonnablement le vocabulaire de l'apprenant et à lui faire trouver le mot le plus juste dans un contexte et une situation donnés. Cela fait, des mots plus rares, quand on les rencontrera, se situeront tout naturellement dans un ensemble cohérent. Acquérir à la fois les bons outils forgés par une expérience séculaire et l'aisance dans leur maniement, c'est libérer son intelligence et lui permettre de donner toute sa mesure. Nous souhaitons que notre travail soit pour ses futurs utilisateurs ce cadeau précieux.
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Résumé en français
JP met en valeur dans cet article le caractère instrumental du lexique, Les mots étant comparés à des outils en nombre limité permettant un nombre illimité d'opérations : idée fondamentale de son Dictionnaire du Français Usuel, à paraître chez Duculot en 2001, fondé sur les études statistiques d'E. Brunet, qui regroupera en moins de 500 articles ayant pour entrée des mots hyperfréquents, en majeure partie noms abstraits et verbes, environ 10 000 mots de moyenne fréquence considérés comme usuels. Le plan des articles est fondé sur les structures actancielles et un ordre de subduction ou de transduction des divers emplois des mots. Un intérêt tout spécial est apporté aux locutions figées et aux sens figurés. Il s'agit d'un dictionnaire d'apprentissage et d'encodage, d'orientation linguistique, et non encyclopédique. Il est rédigé de la façon la plus simple pour être facilement accessible aux non linguistes. Les auteurs voudraient ainsi ouvrir la voie à un enseignement systématique du lexique.
Résumé en anglais
In this article, JP puts in light the instrumental character of the lexis, the words being compared with tools in limited number, permitting an unlimited number of operations: basic idea of her Dictionnaire du Français Usuel, to be published by Duculot in 2001, founded on the statistical studies of Etienne Brunet, which will cluster in less than 500 articles about 10 000 words of average frequency, considered as usual. The plan of the articles is founded on the actancial structures and the order of subduction or transduction of the different uses of the words. A special interest is given to fixed lexical expressions and figurative senses. It is a dictionary for learning and encoding, with linguistic, non encyclopedic orientation. It is written with the greatest simplicity, in order to be easily accessible to non linguists. By doing so, the authors wish to open the way to a systematic teaching of the vocabulary.
2. LE DÉBUT DE LA COLLABORATION AVEC LES ENSEIGNANTS
Cet article est le récit du début d'une expérience suscitée par Bruno Germain, qui dirige au Ministère de l'Éducation Nationale, l'Observatoire de la langue française. Il a recruté une petite équipe d'enseignants volontaires pour travailler sous ma direction et selon mes quatre principes fondamentaux : trois professeurs des écoles travaillant en troisième cycle du primaire et ayant déjà une dizaine d'années d'expérience : Cécile Gérard, Fabrizio Perseu, puis Adrien Wallet, auxquels se sont adjoints plus tard une enseignante en grande section maternelle, Laetitia Yuceer, et enfin un professeur de collège, Sébastien Souhaité. J'ai pris le parti de citer de larges extraits des échanges que nous avons eus par internet, pour bien montrer que les "quatre principes" ont bien été mis à l'épreuve d'un travail "sur le tas". Ces échanges se sont déroulés du 2 février 2011, date de notre première rencontre, jusqu'à à la fin de l'année scolaire. Ils ont repris dans d'autres conditions durant l'année scolaire 2011-2012. Les différents acteurs de cette étape de notre entreprise seront dorénavant désignés par les initiales suivantes : C (Cécile) F (Fabrizio) A (Adrien) B (Bruno) P (Picoche). Tous ces enseignants ont entre les mains le Dictionnaire du Français Usuel (DFU), que l'éditeur, intéressé par l'expérience, leur a fourni gracieusement.
B estime que le DFU, "tel que présenté dans sa forme actuelle est difficilement exploitable par des enseignants non avertis. En d'autres termes, il retient exactement une formule de P : "l'outil est un déclencheur". C, elle, considère que le DFU "s'impose comme outil, non à destination des élèves (pour le moment), mais comme base pour l'enseignant. Le travail considérable de recherche, de mise en relation effectué pour réaliser le DFU, nous permet de prévoir, d'induire et d'organiser les propositions des élèves". P considère que "pour le moment" est peu réaliste. Le DFU a bien été conçu comme un "livre du maitre", pas de l'élève (sinon à un niveau supérieur), un travail fondamental de classement, à charge pour le maître de faire le travail d'adaptation à son public, selon son niveau. Par contre, on pourrait envisager de mettre sous les yeux des élèves, par exemple, en fin de leçon, au moment de passer à la rédaction, la réduction du DFU, passant de 15.000 à 7.500 mots, faite par Jean-Claude Rolland sous le titre Vocalire qui devrait être prochainement disponible.
Le grand déballage
P : cette première étape, évidemment orale, est un point de départ indispensable. On part de ce que les élèves connaissent. A partir d'un mot de haute fréquence choisi dans le DFU, auquel les enseignants reconnaissent surtout le rôle de "déclencheur", les élèves déballent tous les mots qui leur viennent à l'esprit. Bien entendu, ce "déballage" n'a qu'un rapport lointain avec l'article du DFU. Peu importe.
F : "J'ai présenté l'activité en écrivant au tableau le mot mer (nous avons convenu avec Cécile de commencer par ce mot) et demandé aux élèves des mots que leur évoquait le mot mer. Les doigts ont commencé à se lever et j'ai pris note au tableau des mots qui m'étaient énoncés. J'ai commencé à les organiser par groupes sans rien dire". F : "Pour notre deuxième essai nous avons choisi le verbe manger. J'ai procédé de la même manière que le première fois. Au début j'ai laissé les élèves dire les mots qui leur passaient par la tête, puis nous les avons organisés en familles de sens en donnant un titre à chacune".
P : Il est en effet nécessaire que l'enseignant oriente discrètement le travail dans le sens où il veut aller. Pour cela, l'article du DFU peut lui donner des idées. Il faut aussi qu'il sache couper court pour éviter un foisonnement excessif et trop de temps consacré au déballage. Exemple à propos du mot MER : C : "Les élèves se sont naturellement mis à chercher des mots « de la même famille », et s'est posée à ce moment là la question pour le mot MARE. Certains se sont empressés d'ouvrir leur dictionnaire pour en vérifier l'origine". P : Il aurait fallu couper court tout de suite à cette dérive étymologique qui n'allait pas dans le sens de vos orientations. On ne va pas aller patauger dans les mares et les marais. On reste en mer. C'est déjà bien assez. Comme le montre la réflexion suivante de C : "Au bout de 45 minutes, à peine la moitié de ce que j'avais envisagé de traiter avait été évoquée. Je pense donc faire une deuxième séance à partir du même mot".
Les séances
P : "je demande à Fabrizio et Cécile, de me tenir au courant des cinq mots têtes d'articles du DFU qu'ils auront choisis pour cinq leçons successives étalées sur cinq semaines, avec préparation orale puis réutilisation écrite, et de me dire, au fur et à mesure comment chacune de ces leçons aura marché, sur quoi les élèves ont buté ce que ça leur aura apporté de nouveau". C : "Comme prévu, je me suis limitée à une séance de 40 minutes. Et en découle mon 1er constat : c'est extrêmement court, et trop juste me semble-t-il pour « faire le tour » du sujet". P : À mon avis, il n'est pas question de faire en 40 minutes le tour du sujet qui est immense, mais, en triant, dans le déballage quelques mots bien choisis, plus quelques autres auxquels les élèves n'ont pas pensé et qu'on leur aura fait trouver, appliquer les principes fondamentaux que je juge essentiels. Il est évident que, selon la nature du déballage, les mots choisis seront différents, qu'il n'y aura pas deux enseignants pour faire exactement la même leçon, et que même en procédant ainsi, les 40 minutes seront un cadre bien étroit. On était parti sur une hypothèse de 2 séances par semaine, et voilà qu'il semble que trois séances soient nécessaires pour aboutir à la séance consacrée à l'écrit, mais évidemment, cela tient trop de place dans un emploi du temps ordinaire. C : Comme je le prévoyais, le rythme de 3 séances par semaine est bien difficile à tenir en ce qui me concerne. P : On constate que les cinq leçons étalées sur cinq semaines était un projet très ambitieux !
Le plaisir des élèves
C : "La classe s'est très vite « prise au jeu », y compris les « petits parleurs », et les élèves ont semblé éprouver un certain plaisir à participer à cette activité". Dans une autre séance : "A peine les affiches installées et le mot « manger » écrit au tableau, les élèves ont reconnu l'activité et ont montré un grand enthousiasme". A mentionne aussi l'"enthousiasme" des élèves.
Définitions A, "Ayant fait recopier les mots écrits au tableau je donne cette consigne : « Entoure les mots que tu ne comprends pas bien ou ceux dont tu n'es pas sûr de connaitre exactement le sens ». "Les élèves s'expliquent les mots ou expressions qui posent problème avec l'intervention du maitre quand c'est nécessaire. On se rend compte par l'explication des élèves que certains contresens persistent. Des élèves croient savoir et quand ils expliquent on se rend bien compte des lacunes sémantiques".
C : à propos de mer : "Un des premiers mots cités a été océan. Aussi, il a tout de suite fallu distinguer ces deux mots, ce qui a permis dès le début de la séance de définir le mot mer, définition que j'ai alors écrite sur une des affiches". P : C'est très bien de définir par comparaison de parasynonymes comme vous l'avez fait avec mer et océan. Mais il n'est pas du tout nécessaire de chercher des définitions complètes et canoniques avec genre prochain et différence spécifiques, définissant un nom par un nom, un verbe par un verbe…. L'essentiel, ici, c'est que l'océan est encore plus grand que la mer qui est déjà un espace aquatique très grand, d'où les locutions une mer… un océan… de choses abstraites. Et il n'est pas nécessaire de définir des mots dont le sens ne pose de difficulté pour personne. Ne vous attardez pas à définir quand ce n'est pas utile. Chercher dans le dictionnaire ? Oui et non ! Cela prend beaucoup de temps et les définitions sont souvent plus difficiles à comprendre que le défini.
"Familles" de mots
F : "Au bout d'un certain nombre de mots, les élèves ont commencé à comprendre ce que je faisais et ont pris le parti de remplir certaines "familles", qui les inspiraient le plus. Quand les élèves ont commencé à être à court d'idées j'ai essayé de faire compléter quelques "familles", que les élèves avaient un peu négligées, en les relançant par un questionnement et surtout en essayant de leur faire comprendre à quel mot générique pouvaient se rapporter les mots déjà présents. Quand j'ai estimé que l'activité avait assez duré, j'ai entouré au tableau les différentes "familles" et j'ai demandé de trouver un mot générique pour chacune d'entre elles". C : "Au début j'ai laissé les élèves dire les mots qui leur passaient par la tête, puis nous les avons organisés en familles de sens en donnant un titre à chacune". C classe parmi les éléments "qui lui paraissent indispensables" les synonymes et antonymes.
P : Fabrizio a photographié son tableau. Sur la photo, les mots sont groupés en "familles" sémantiques, non morphologiques, de mots plus ou moins substituables les uns aux autres, donc synonymes ou parasynonymes, ce qui est tout à fait naturel, et on voit que les élèves le comprennent très facilement. Il n'existe pas toujours de mot générique pour chaque liste ; il faut assez souvent recourir à une périphrase : ex. Les produits de la mer. Et quand il existe il est souvent plus rare et plus abstrait que les autres (aliment pour pain, viande etc.). C'est un très bon exercice de le faire trouver, cela apprend à catégoriser, ce qui est une opération fondamentale de la pensée, et cela permet des créations de phrases tels que les fruits sont de très bons aliments ou De tous les produits de la mer, il y en a un qu'on vend partout, le sel ou De tous les produits de la mer, ce sont les crevettes que je préfère.
Quant aux antonymes, ils se trouvent surtout parmi les adjectifs (mer calme, grosse, agitée) mais pas seulement. Pour manger, il pouvait être intéressant d'opposer ses substituts dévorer, engloutir à déguster, grignoter.
C est un peu insatisfaite, surtout en ce qui concerne la leçon autour du mot mer : "On retombe assez vite dans l'établissement d'une liste thématique, nous rapprochant inexorablement d'une des seules propositions jusqu'alors en vocabulaire: une fiche présentant « le vocabulaire de la mer » Or, L'idée est bien de proposer quelque chose de différent ? " P regrette de ne trouver, à propos du mot mer, dans les relevés de C et de F qu'un unique verbe : nager. Et propose d'appliquer la méthode ci-dessous :
Un classement plus méthodique à base syntaxique aurait été possible :
Cas du verbe manger : On écrit au tableau une phrase simple : Jean mange une pomme.
Et on prie les élèves de choisir, dans le "déballage", les mots qui peuvent se substituer
à Jean : tous les noms de personne ou d'animaux et plus spécifiquement, convive, et gourmet, gourmand, glouton, goinfre, ogre
à mange : avaler, engloutir, bouffer, grignoter, déguster et aussi déjeuner, gouter, diner
à pomme : tous les noms possibles de choses comestibles et aussi de façon plus générique aliment, nourriture auxquels il était facile d'adjoindre une liste de qualificatifs : délicieux, exquis, mangeable, fade etc.
Naturellement tous les mots du déballage ne sont pas utilisés. Il y a un reste qui fournit les compléments circonstanciels, de cause : la faim, de but se nourrir, de temps : matin (petit déjeuner) midi (déjeuner) et soir (diner), de lieu (salle à manger, restaurant, réfectoire) de moyen (fourchette, couteau etc.). On voit qu'un classement de ce genre induit tout naturellement les éléments fondamentaux de l'analyse grammaticale.
Cas du nom mer : On cherchera à former des phrases où il peut exercer la fonction de :
-
Sujet : la mer monte, descend et aussi moutonne, s'enfle. Elle est haute, basse, étale et aussi belle, calme, agitée, houleuse, grosse, démontée et aussi immense, profonde, infinie
-
Objet : le navigateur parcourt la mer, le pêcheur exploite la mer, l'océnographe la sonde
-
Complément circonstanciel : en mer, sur mer, sur la mer, sous la mer, dans la mer, au fond de la mer, au bord de la mer, il y a, on trouve… tous les compléments possibles qu'aura fourni le déballage (bateau, poisson, algues, étoile de mer, sable, rochers, port, phare etc.)
-
Complément de nom : eau de mer, vent de mer, sable de mer, poisson de mer, y compris des locutions figées : araignée de mer, étoile de mer etc.
On voit que l'intérêt syntaxique essentiel de ce nom de lieu est de fournir de nombreux compléments de lieu, ce qui permet de faire l'inventaire des prépositions introduisant ces compléments, et que d'autre part, c'est un bon support d'adjectifs spécifiques, ce qui permet de travailler les fonctions épithète et attribut.
Les dérivés et les exercices d'assouplissement syntaxique.
P : Un type de "famille" particulièrement important est celui qui est constitué par un mot de base (verbe ou nom) et les dérivés qui font passer son contenu sémantique dans d'autres parties du discours. Supposons que le mot mer ait suscité le verbe naviguer à partir duquel on peut, à l'aide de suffixes, construire un nom d'agent : navigateur, un nom d'action navigation et un adjectif, navigable. On a là les instruments d'un travail syntaxique dont voici un exemple : Vasco de Gama a navigué dans tous les océans et il a été le premier à faire le tour du monde. À partir de là, on peut faire diverses proposition aux élèves : "Maintenant, tu commences une phrase par La navigation de Vasco de Gama et tu la termines à ta façon". Ou bien, "tu parles de Vasco de Gama en employant le mot navigateur. A-t-il navigué sur des fleuves ? Tu réponds en employant l'adjectif navigable".
Les choses ne sont pas toujours aussi simples. Il arrive qu'un nom fonctionne comme nom d'agent ou nom d'action d'un verbe sans qu'il ait avec lui la moindre relation morphologique. On n'emploie guère le nom d'agent mangeur (si ce n'est dans la locution gros mangeur). Par contre plusieurs personnes qui mangent ensemble autour d'une table sont des convives. Le nom d'action correspondant à manger est repas (ou ses substituts, les infinitifs substantivés déjeuner, gouter, diner, et collation, casse-croute). Exemple d'exercice : Qu'avez vous mangé à midi ? du saumon et des fraises. Dites la même chose en employant le mot repas. Notre repas se composait de saumon et de fraises, phrase évidemment beaucoup plus "écrite" que la précédente. Et qu'est-ce qu'il vaut mieux dire ou écrire ? Après le repas ? ou après avoir mangé ? ou quand on a eu fini de manger ?
Le mot mer ne fournit aucun dérivé formé sur un radical mer-. Ils sont en mar- mots savants formés sur le radical du mot latin correspondant. C'est un cas tout à fait courant. Les dérivés de eau sont formés sur les radicaux aqu- et hydr-.Il faut habituer les élèves à jouer du mot simple et de ses dérivés savants. Exemple : Vasco de Gama naviguait sur mer (pas sur de simples fleuves). Parle de lui en employant le nom marin et l'adjectif maritime. Réponse possible : C'était un grand marin, un as de la navigation maritime.
C, à propos de mer, a classé les dérivés parmi les éléments indispensables de sa leçon mais ne les a pas employés, F non plus, dans ses deux premières leçons, et il le regrette. Apparemment, cela ne leur vient pas spontanément, ni à leurs élèves. Par contre le début du travail sur froid et chaud donne de l'espoir : A, qui n'a guère commencé à travailler que sur froid et chaud donne des listes de dérivés de bouillir, chauffer, bruler mais n'a pas eu le temps de les exploiter. F signale ceci, à propos du "grand déballage" sur froid et chaud : "Le fait marquant est que les élèves se sont tout de suite dirigés dans leur propositions vers les verbes puis les noms ou adjectifs qui en découlaient. Ils semblent qu'ils commencent à avoir le réflexe de chercher d'abord les verbes que leur évoque le mot de départ". À propos des mots à initiale frig- il écrit ceci : "Nous avons simplement observé la partie commune à chaque mot de la même famille. Les élèves savaient que cette partie s'appelait le radical, qu'il s'agissait de la racine du mot. Ils avaient aussi les notions de préfixe et suffixe. Nous avons essayé d'exprimer ce qu'ils apportaient au sens du radical". P approuve ! c'est un exercice classique, et les connaissances des élèves prouvent qu'il y avaient été entrainés dans une classe antérieure. Mais préférez le mot radical au mot racine qu'il est bon de réserver aux "racines indo-européennes", notion étymologique. Et il y a un écueil : Les dérivés morphologiques ont parfois perdu tout lien sémantique le mot de base. Si chauffard et chauffeur (à l'origine il s'agit des locomotives à charbon !) apparaissaient dans le "déballage", il fallait les écarter rapidement, sans perdre un temps précieux à faire leur histoire.
Et l'étymologie ?
C : "j'ai indiqué les bases étymologiques latine et grecques (mar-, océan- et thalasso-)". P : Je pense que dans ce cas-là, vous auriez pu vous contenter de dire rapidement que mer vient du latin mare et que le /a/ de marin et maritime est la voyelle de la forme latine qui a été conservée. Les dérivés d'océan ne présentant pas de variante, il était inutile d'en faire l'étymologie. Quant à thalasso- qui n'apparaît guère que dans thalassothérapie, c'est un mot si rare, si compliqué et si long à écrire au tableau et à recopier, qu'il aurait mieux valu le laisser tomber, à moins qu'il n'ait été trouvé et proposé par un élève.
À propos de froid et chaud, F a fait un petit relevé de mots en frig-, P pense que si des élèves particulièrement curieux et réceptifs s'étonnent que le mot froid ait des dérivés en -frig- et le mot chaud des dérivés en therm-, on peut leur dire pourquoi, et commencer à leur expliquer le rôle du latin et du grec dans les mots savants français. Il y a en français tant de dérivés savants calqués sur le latin et le grec, qu'il faut bien qu'ils s'habituent à en jouer, à côté des formes populaires.
Par conséquent, il serait bon que les élèves, dès qu'ils sont capables d'entrer dans une perspective historique, sachent : 1. que la plupart des mots usuels du français sont du latin populaire transformé par la bouche de Gallo-Romains et de barbares illettrés, mais 2. qu'au cours des siècles, des lettrés ont introduit dans leur langue beaucoup de mots directement calqués sur le latin et sur le grec. D'où l'utilité des dictionnaires étymologiques. En ce qui concerne le radical -frig- on pourrait apprendre à des élèves déjà un peu grands qu'il vient du même mot latin que froid, frigidus mais que froid est populaire et frig- savant. Pour la même raison, il aurait pu être intéressant de mettre -cal- (calorie) en rapport avec chau/chal-. En travaillant sur le mot eau qui n'a aucun dérivé populaire, il serait éclairant d'enseigner que le radical aqu- est latin et le radical hydr- grec. Mais il ne faut pas passer trop de temps sur des considérations étymologiques, beaucoup moins importantes que les exercices d'assouplissement syntaxique. Pour que l'étymologie soit vraiment intéressante et utile, il faut avoir certaines connaissances d'histoire de la langue, et de langues étrangères apparentées pour avoir des points de comparaison. Ce n'est pas possible dans les classes primaires.
Enrichir le vocabulaire des élèves
C : "Si notre objectif est d'enrichir le vocabulaire des élèves, recueillir les mots qui viendraient spontanément et prioritairement aux élèves ne me paraît pas suffisant. J'ai donc orienté fortement la recherche, posé des questions, et même donné certains mots qu'aucun élève ne connaissait ou du moins n'avait acquis au point de pouvoir l'utiliser spontanément". P : Oui, bien sûr ! il faut le faire. Un vocabulaire indigent est un handicap et on sait que certaines violences ont pour cause l'inaptitude à s'exprimer autrement. Il faut entrainer les élèves à s'exprimer avec aisance dans différents registres de langue. Mais il est inutile de focaliser sur des mots rares (comme thalassothérapie) qui seront facilement appris "sur le tas" le jour où ils se révéleraient nécessaires. Dans bien des cas, on activera un "vocabulaire passif" de mots enregistrés par les élèves mais pas assez bien connus pour être utilisés spontanément. Les 15000 mots du DFU sont déjà un trésor assez riche, et les 7500 de Vocalire, si on les manipule bien, ce n'est déjà pas mal ! Beaucoup de romanciers écrivent toute leur œuvre sans utiliser plus de 10.000 mots.
Emplois "figurés" et locutions figées
C classe, parmi les "éléments indispensables" de ses leçons, les emplois figurés. P pense qu'en effet, c'est très important. Outre son système phono-morpho-syntaxique particulier, ce qui constitue l'identité d'une langue, en contraste avec les autres langues, au point de vue sémantique, c'est l'organisation de ses polysémies et les locutions figées. Les différents sens d'un mot polysémique ne peuvent pas être exposés dans n'importe quel ordre ; il y a un sens premier et des sens seconds, ils apparaissent selon une logique interne qu'il faut respecter. C'est là-dessus qu'il faut insister si on veut que les élèves pensent en français et pas seulement dans une langue de l'immigration. "
Cas du verbe manger. F "Dans un second temps, à partir du mot faim, j'ai souhaité approfondir en faisant chercher aux élèves des expressions au sens propre et au sens figuré". P : "dans un second temps" est très bon. Je vois que vous avez trouvé une faim de loup, mourir de faim, manger à sa faim, un appétit d'ogre, un appétit d'oiseau, un bon coup de fourchette, manger à la petite cuiller, avoir le ventre creux/plein, la grève de la faim… Bon inventaire ! Vous auriez pu aussi leur poser la question : "Est-ce que vous pouvez donner aux verbes dévorer et déguster d'autres compléments que des noms d'aliments ?" Car c'est ainsi, par la voie de la métaphore, qu'on passe au "sens figuré" abstrait.
Cas du nom mer : P Les possibilités sont nombreuses ! Je pense qu'il faudrait faire fonctionner au moins quelques unes des métaphores possibles : une mer / un océan de … végétaux ? De problèmes? Qu'est-ce qui peut flotter, à part les bateaux ? Est-ce que toutes les pieuvres sont des animaux marins ? Arriver au port suppose toujours qu'on est en bateau ? etc. etc. Puisque nous sommes à Paris, on pourrait même leur faire connaitre la devise et l'écu de la ville de Paris : le bateau des nautes, sur la Seine: fluctuat nec mergitur: "Il flotte mais ne sombre pas". On pourrait aussi orienter la leçon vers la pêche ou vers la navigation pour avoir des verbes des actants, et des métaphores intéressantes. Bref vous avez l'embarras du choix, mais à la fin de ces deux leçons, les élèves devraient commencer à sentir qu'il y a un symbolisme de la mer et de la navigation. On pourrait même peut-être citer un vers célèbre: Homme libre, toujours tu chériras la mer…
Cas de froid et chaud : P : un caractère froid, être reçu fraichement, froidement, un avec un air glacial, bouillir de colère, cela s'impose tout naturellement
Le passage à l'écrit
F : "Pour la deuxième séance, je pense leur demander de rédiger un court texte où l'on peut retrouver certains mots d'une famille ou de deux familles ayant un lien… En ce qui concerne la production d'écrits, j'ai pensé proposer aux élèves des verbes, des noms et des adjectifs issus de l'article manger (certains de ces mots ont été trouvés par les élèves d'autres sont apportés) et leur demander d'écrire un court texte dans lequel se retrouveraient un certain nombre de ces mots"…. "Bien entendu ils pouvaient se servir aussi de mots trouvés précédemment. Voici la liste que j'ai proposée : verbes : avaler, engloutir, dévorer, déguster, savourer, régaler - noms : couverts, couteau, fourchette, cuiller, serviette, nappe - adjectifs : gourmand, appétissant, fade, délicieux, exquis. Enfin, dans le souci qu'il reste une trace de ce travail, j'ai distribué un récapitulatif des mots et expressions trouvés". P : suppose que pendant la séance précédente, elle a bien distingué le sens des parasynonymes, et même peut-être fait trouver des emplois figurés des verbes proposés. Le travail de rédaction ne peut arriver qu'au terme de toutes les manipulations précédentes. C, après avoir travaillé sur mer, pense "proposer ensuite une séance d'écriture (courte : 5 à 10 lignes ?), ce qui paraît à P une bonne mesure. C : "Pour cette séance, plusieurs pistes, : utiliser dans sa production des mots issus d'une (ou deux) catégorie(s), utiliser au moins un mot de chacune des catégories" P : il me semble qu'on pourrait leur laisser plus de liberté. C : "écrire à partir d'une phrase inductrice, comme « promenade mouvementée en bord de mer ». P : c'est ce qu'on appelait autrefois un "sujet de rédaction" C : "écrire à partir d'une image (photo, dessin...)" P : Oui, cela peut être intéressant. C, à propos de manger : "Enfin, une dernière séance a été consacrée à une production écrite, avec pour consigne d'utiliser le vocabulaire recueilli et d'y glisser des expressions figurées. J'ai proposé, sans l'imposer, le thème « repas à la cantine ». Les élèves m'ont réclamé tout au long de la semaine cette séance d'écriture, et y ont pris, semble-t-il, beaucoup de plaisir. Y compris pour ceux, peu à l'aise avec l'écrit, qui se sentent rassurés par la longueur demandée de la production (une dizaine de lignes), et par l'appui constitué par le vocabulaire écrit au tableau. La plupart a ensuite souhaité lire ce qu'ils avaient écrit au reste de la classe". P : "Tout cela est extrêmement positif ! C m'a envoyé un florilège de ces productions. Les élèves s'en sont donné à cœur joie avec les expressions figées et les sens figurés. Cela donne des textes très vivants plutôt humoristiques. Je fais tout de même remarquer que le travail sur les dérivés, notamment les nominalisations de verbes, et les dérivés savants à base latine ou grecque, permettrait d'écrire dans un autre style, certes moins vivant, plus abstrait, qui pourrait être celui d'un journal de classe".
Projets, discussions, conclusions
Tout cela laisse penser qu'il faudrait pour une leçon, au moins trois séances de 40 ou 45 minutes : une pour le déballage, le classement et les définitions, une pour le sens figuré et les exercices d'assouplissement syntaxique, et une pour les exercices écrits. Et peut-être même une quatrième pour la correction des productions écrites et l'exploitation de ce que permettent les classements sur base actancielle, en matière d'analyse grammaticale.
Après froid et chaud à peine effleuré, F et C ont proposé de s'attaquer au mot train. B a proposé de travailler les "verbes de mouvement". Il s'est intéressé à tomber, tout en regrettant qu'il soit intransitif. Mais non ! l'auxiliaire de mode faire lui confère la transitivité : J'ai fait tomber / renversé le vase de Sèvres, il s'est cassé.
C "Dans ce déroulement, dont nous avons discuté, certaines choses me laissent cependant sur ma faim. Dans un premier temps les élèves cherchent des mots puis il y a un approfondissement orienté et une production d'écrits, le tout se déroulant sur une semaine. La semaine suivante on passe à un autre mot etc..." P : En effet, parmi les 442 articles du DFU, pourquoi choisir celui-ci plutôt que celui-là ? D'où l'intérêt de les classer par ordre de difficulté pour prévoir une progression, et attribuer préférentiellement certains articles à telle ou telle classe de l'école primaire et du collège, chose faite à la rentrée. Des listes ont été élaborées pour chaque classe, avec un ordre préférentiel à l'intérieur de ces listes
B. : "Pour l'instant ma préoccupation est de réussir, grâce à ce déclencheur et l'établissement de quelques principes de base, une leçon de vocabulaire "type" qui pourrait être préconisée aux enseignants du primaire (avec présentation d'un DFU simplifié, par exemple). Mais nous n'en sommes pas encore là". P : Tout ce qui précède montre qu'il y a forcément différents types de leçons et que la leçon de vocabulaire doit être à la fois préparée (aperçu des diverses pistes ouvertes pas le DFU) et improvisée (saisir au vol ce que "déballent" les élèves et l'exploiter sur le vif). Sous peine de figement et de priver les élèves de leur plaisir, vous n'arriverez jamais à proposer des leçons de vocabulaires toutes faites que l'enseignant, sans la moindre préparation personnelle n'aurait qu'à régurgiter à ses élèves. B : oui bien sûr... Disons une modélisation qui donne des directions de travail efficace ! P : cela, oui ! il me semble que A, F et C nous en ont donné de bons exemples.
C et F se demandent l'un et l'autre qu'il va rester de tout cela. F. "J'ai la sensation qu'il ne reste pas grand chose de ce travail une fois la production d'écrits terminée. Mais peut-être le but est-il ailleurs ? L'objectif est peut-être plus d'apprendre, pour les élèves, à aborder un mot différemment quand il ne le connaît pas. C'est peut-être là l'objectif, être capable, avoir les moyens de s'interroger sur un mot quand on est confronté à une difficulté de vocabulaire. Pourtant le fait de connaître du vocabulaire est lui aussi important. Je suis conscient que je ne peux pas voir de résultats au bout de deux tentatives, et puis il s'agit d'expérimentations que nous menons. Je pensais avoir compris un certain nombre de choses et puis je me retrouve à douter. Qu'en pensez-vous ?" P : je pense que votre doute vous honore, Fabrizio, et que votre réflexion est excellente. Oui, c'est vrai, c'est important que les élèves aient "acquis" des mots qu'ils ne connaissaient pas et qu'ils ne fassent pas de contresens sur leur signification. Ils n'en auront acquis que quelques uns parmi tous les possibles du champ sémantique envisagé. Mais enfin, on acquiert du vocabulaire pendant toute sa vie. Donc, il est encore plus important qu'ils aient acquis de bonnes méthodes et qu'ils les appliquent spontanément, sans même y penser, quand ils seront confrontés à de nouveaux mots, donc à de nouveaux objets, à de nouveaux concepts, et cela les aidera dans leur vie.
3. DIALOGUE AUTOUR DE L'ENSEIGNEMENT DU VOCABULAIRE
Études de Linguistique Appliquée n° 116 - (1999) - pp. 421 à 434
Il m'a été donné, en janvier 1998, de faire, sur l'enseignement du vocabulaire une "conférence pédagogique" devant le corps enseignant des écoles primaires de la circonscription de Fourmies (Nord). Cette conférence avait été soigneusement préparée par les personnes de l'inspection académique qui m'avaient invitée. J'avais reçu une liste de questions à traiter, et un épais dossier d'exercices de vocabulaire élaborés par les maîtres et maîtresses de la circonscription, souvent assortis de considérations et citations méthodologiques. Cette expérience m'a été très profitable en ce qu'elle m'a permis de comprendre à quel point mes interlocuteurs ressentent la nécessité d'un enseignement systématique du vocabulaire et à quelles difficultés ils se heurtent. Les exercices proposés à mon jugement avaient tous leur utilité et pouvaient tous apprendre quelque chose aux élèves. Mais plusieurs des idées qui les sous-tendaient m'ont paru appeler la discussion. Et plusieurs des questions qui m'étaient posées méritaient une réponse approfondie. Ce sont elles qui structureront l'article ci-dessous.
On notera qu'il ne s'agit que de principes généraux qui doivent seulement servir de base de réflexion aux enseignants. Ils ont des enfants d'âge divers qui leur sont confiés, une expérience qui me manque et savent adapter leur enseignement au niveau de leurs élèves. Quoique cette réflexion ait été menée à partir d'exercices conçus pour l'enseignement primaire, les professeurs de collège ne devraient pas se sentir moins concernés que ceux des écoles.
1. LES MOTIVATIONS ET LA SYSTÉMATICITÉ
Une idée récurrente, dans les documents envoyés, était que le vocabulaire ne s'enseigne pas comme une autre matière. L'apprentissage des mots a, pense-t-on, besoin d'une "base affective". Il faut que l'enfant en "sente le besoin" et c'est alors que l'enseignant, jusque là contraint à la passivité peut intervenir, simplement pour lui apporter l'instrument précis qui lui manquait, de préférence "en situation", ou pour corriger une erreur d'emploi. C'est s'interdire à l'avance tout enseignement systématique. Et si l'enfant ne demande rien ? s'il a l'impression de s'exprimer très suffisamment au moyen d'un vocabulaire plus ou moins embryonnaire acquis "par imprégnation" dans "son milieu naturel" ? Et si beaucoup de "situations" typiques, appelant un vocabulaire propre ne se présentent pas en classe ? Et comment des corrections ponctuelles ("On ne dit pas comme-ci mais comme-ça") ne paraitraient-elle pas arbitraires, si on ne montre jamais comment elles s'intègrent dans des ensembles cohérents ?
Heureusement qu'on n'en demande pas tant pour toutes sortes d'autres disciplines ! est-ce qu'on apprend l'histoire, le calcul et les sciences naturelles "en situation", "par imprégnation" ? S'il fallait une "base affective" pour enseigner les tables de multiplication, et les conjugaisons, personne ne les saurait jamais ! pourquoi des exercices systématiques de vocabulaire devraient-ils répondre "à un besoin réellement ressenti" plus que les exercices de mathématiques ? Il est à craindre que ce recours à la motivation et à la situation ne s'explique que par l'embarras méthodologique des enseignants et l'ennui engendré par des leçons de vocabulaire réduites à des listes de mots et à de simples étiquetages.
Je suis toutefois entièrement d'accord avec la personne qui écrit que "les stratégies d'enseignement du vocabulaire qui misent sur les connaissances des élèves sont toujours plus efficaces que celles qui ne le font pas". C'est bien pourquoi nous préconisons de partir des mots de haute fréquence, qui ne peuvent pas être complètement ignorés.
Elle souhaite "élaborer avec les élèves une constellation de mots" à partir de ce qu'ils savent déjà. C'est bien ce que nous esquisserons au § 4. Je parle, moi, de "grappes" de mots. Une métaphore vaut l'autre ! Que les mots soient des grains de raisin ou des étoiles, cela revient au même !
2. RAPPORT DU MOT ET DE LA CHOSE
"Il faudra attendre 9-10 ans, me dit-on, pour que le nom soit détaché de la chose signifiée". "Les mots sont appris, au Cours Préparatoire et au Cours Élémentaire, en présence de la chose, de l'action ou de la qualité désignée". En présence de la chose, passe encore, pour les choses transportables dans une classe, ou visibles en images. Des dessins, les photos sont à leur place dans les dictionnaires de tendance encyclopédique. Substituer une image à une définition n'est pas un procédé linguistique.
Mais que peut bien signifier "en présence de l'action ou de la qualité désignées" ? Je crains bien qu'il ne s'agisse d'une simple clause de style, si j'en juge par le contenu des exercices proposés qui portent dans leur grande majorité sur des noms concrets, autrement dit des noms ayant pour référents des objets.
Or les noms concrets ne représentent qu'une toute petite partie du vocabulaire fréquent, et la plus facile à apprendre, celle, précisément, qui s'apprend normalement "en situation". Tous les enfants savent ce que c'est qu'un arbre, pas besoin de leur apprendre ce signifiant. Est-il utile de leur enseigner en classe de français le frêne et l'orme s'ils n'en ont pas dans leur jardin ? Est-il utile, même, qu'ils connaissent les noms (souvent très techniques) des arbres du jardin public de la ville ? Un cours de français n'est pas un cours de botanique. Énumérer des noms de vêtements ne peut être utile que pour les tout petits ! Et les noms des appareils ménagers ? fait-on une leçon de français ou de technologie ?
Il n'y a pas que des noms, dans une langue et les enfants n'attendent pas d'avoir 9 ou 10 ans pour les faire fonctionner dans des phrases, même si ces phrases ne sont pas toujours bâties de façon canonique ! Surtout, il n'y a pas que des "noms concrets" ! Il y a une multitude de noms abstraits, dérivés de verbes ou d'adjectifs, extrêmement usuels et utiles pour s'exprimer avec souplesse. Les enfants ne connaissent peut-être pas les mots méthode et procédé, mais ils connaissent sûrement le mot truc qui est parmi les plus abstraits de la langue.
Les noms ne sont pas des étiquettes collées sur la réalité, ce sont des outils qui permettent à l'esprit de s'emparer de cette réalité. Il ne faut pas aller de l'extra-linguistique vers le linguistique mais au contraire du linguistique vers l'extra-linguistique. Montrer une maison ou l'image d'une maison en demandant comment cela s'appelle ? n'intéressera pas grand monde, même si on fait préciser que cette maison est une villa, un immeuble, un mas provençal ou une baraque.
Il en sera autrement si la question posée est : "de quoi puis-je parler avec cet outil linguistique ? à quoi le mot maison peut-il me servir ?" Ouvrez votre Petit Robert, et vous aurez déjà une assez bonne idée de la réponse. Avec le mot maison, je peux parler de bâtiments d'habitation de diverses sortes qu'on peut construire, acheter et vendre (tel est le sujet d'un des exercices proposés), mais aussi de l'ensemble des gens qui y habitent, du foyer familial, des familles princières - et puis de toutes sortes de bâtiments institutionnels qui ne sont pas des habitations familiales comme les maisons de retraite, maison d'arrêt, maison du peuple, ou maisons de la culture. Il y a là plus de sujets de conversation instructive qu'on ne peut en épuiser en une heure, à plus forte raison en un quart d'heure, compte tenu des capacités d'attention de l'auditoire.
D'où l'intérêt de ne pas partir d'un thème (par ex. "l'habitat") qui conduira forcément à faire de l'étiquetage, mais d'un mot de haute fréquence à emplois multiples. Ceci nous mène directement à la question suivante.
3. FAUT-IL PRIVILÉGIER LE TRAVAIL SUR LE VERBE OU SUR LE NOM COMMUN ?
Les deux, chers collègues. Mais s'il fallait choisir, je donnerais la préférence au verbe, victime, dans les exercices qui m'ont été proposés, d'une grande disette. On peut, à la rigueur, faire de l'étiquetage en collant des noms concrets sur des images, sans faire intervenir de verbe, mais ça n'apprend pas à parler. On parle avec des phrases, et le verbe est ce qui structure la phrase. Donc, à mon avis, dans tout exercice de vocabulaire il doit y avoir des verbes. Mais les verbes ont besoin de noms pour fonctionner. Donc l'association des deux est indispensable.
Ce que j'appelle champ actanciel repose sur cette constatation élémentaire : le sujet et les compléments "essentiels", indispensables au fonctionnement du verbe (autrement dit non "circonstanciels") sont ses actants. Tout verbe s'associe de préférence avec les noms qui ont avec lui une relation sémantique et vice versa. Si on part d'un verbe, on sera amené à classer les noms ou les types de noms avec lesquels il s'associe de façon spécifique. Si on part d'un nom, on sera amené à trouver les verbes avec lesquels il s'associe de façon spécifique, compte tenu du fait que si le verbe ou le nom duquel on part est polysémique, les associations pourront varier selon les emplois. Si on part d'un adjectif, à trouver les types de noms qui lui servent préférentiellement de support.
On pourra ensuite faire foisonner à volonté (selon les capacités d'absorption de l'auditoire) cet embryon de champ :
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en cherchant les "parasynonymes" de chaque élément (car enfin, il n'y a guère de "synonymes" parfaits et la distinction de ce qu'on appelle communément "synonymes" est un jeu des plus amusants),
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en cherchant les qualificatifs les plus appropriés aux noms et les adverbes les plus appropriés au verbe,
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en usant de la dérivation pour nominaliser les verbes et les adjectifs, et, des verbes, tirer des noms et des adjectifs.
On obtient ainsi très vite une énorme grappe de mots dont quelques grains bien choisis suffiront pour alimenter une leçon de vocabulaire à un niveau élémentaire. Le Dictionnaire du français usuel de Jacqueline Picoche et Jean-Claude Rolland, à paraître chez Duculot aux environs de l'an 2000, est conçu de manière à constituer autour de mots de très haute fréquence des "grappes de mots" de ce genre.
À mon avis, le mieux est de prendre pour point de départ d'une leçon de vocabulaire soit un nom concret ayant un large symbolisme, centre de nombreuses locutions, soit un verbe polysémique.
Mais enfin, il y a moyen de tirer quelque chose des noms les plus monosémiques, et comme la grappe de mots obtenue sera moins énorme, elle conviendra peut-être mieux à un niveau élémentaire.
4. ON ME DEMANDE DES EXEMPLES PRÉCIS DE "CHAMPS ACTANCIELS"
Allons-y : Partons d'un des exercices proposés, parmi les plus "étiqueteurs" et "extra-linguistiques", consistant à nommer, d'après des images, des appareils ménagers, et à classer leurs noms selon que les appareils en question utilisent ou non l'électricité.
On trouvera inévitablement dans la liste une bouilloire et un aspirateur. Or, des outils, des objets fabriqués se définissent premièrement par leur usage (secondairement seulement par leur structure et les matériaux employés). Donc une bouilloire est un appareil qui sert à faire bouillir de l'eau et un aspirateur à aspirer la poussière. On ne trouvera guère d'autres verbes spécifiques à leur associer (acheter, vendre, détraquer, pouvant s'appliquer à toutes sortes d'autres choses que des bouilloires et des aspirateurs). Emparons nous donc de ces deux verbes dont l'un n'est pas des plus faciles à conjuguer ni à orthographier, mais qui nous simplifie la vie par son caractère intransitif (pas de complément d'objet à prendre en considération).
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Qu'est-ce qui bout, dans la bouilloire ? de l'eau - Qu'est-ce que bouillir à gros bouillons ? bouillonner ? : faire des bulles sous l'action de la chaleur - Que signifie amener l'eau à l'ébullition ? s'ébouillanter avec de l'eau bouillante ? ébouillanter une théière ?
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Seulement de l'eau ? Non d'autres liquides ! du lait, du vin - Qu'est-ce que du bouillon ? Sous quelle forme en achète-t-on dans les supermarchés ?
3. Est-il possible qu'un liquide bouillonne sans être chauffé ?
4. Est-ce que le verbe bouillir ne peut pas avoir un sujet humain ? Pourquoi peut-on dire Je bous d'impatience - Tu me fais bouillir - Je bouillonne - Dupont a un caractère bouillant ?
Voilà déjà un joli petit champ actanciel, agrémenté d'une modeste polysémie.
Passons à aspirer, qui ne présente aucune difficulté d'orthographe ni de conjugaison :
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Qu'est-ce qu'il aspire, l'aspirateur ? la poussière. Comment fait-il ? il crée un courant d'air orienté vers l'intérieur de lui-même - C'est cela qui permet l'aspiration de la poussière.
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Et vous, est-ce qu'il vous arrive d'aspirer quelque chose ? - une boisson, avec une paille, en créant un petit courant d'air, comme l'apirateur.
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Et le verbe inspirer, vous le connaissez ? En quoi ressemble-t-il, pour le sens, à aspirer, en quoi diffère-t-il ? Quel est son complément d'objet le plus normal ? l'air - Comment pourrait-on définir, les uns par rapport aux autres, inspirer, expirer, respirer ? prendre une bonne inspiration, une expiration profonde, la respiration sifflante d'un malade, etc.
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Si ça marche, si les élèves sont réceptifs et assez grands, on pourra peut-être aller jusqu'aux emplois avec sujet ou objet humain : Dupont aspire à aller en vacances, c'est une aspiration bien normale - la situation inspire à Dupont une grande résolution - et un aspirant , à quoi aspire-t-il ? etc.
4. COMMENT ENRICHIR LE "CAPITAL QUALIFICATIF" ?
Supposant que la question signifie "comment apprendre aux élèves les adjectifs qu'ils ne possèdent pas ?", je répondrai deux choses :
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La plupart des adjectifs sont des dérivés de noms (famille > familial ) ou de verbes (régler > réglable ). On les apprendra à propos des verbes ou des noms correspondants.
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Ce n'est pas le cas pour les adjectifs exprimant des sensations ou des sentiments, qui sont premiers, et à la base de dérivations verbales ou nominales (blanc > blanchir, blancheur ;triste > tristesse, attrister). Il est toutefois facile de les mettre en relation, pour le sens, avec des verbes, quoiqu'ils n'en soient pas dérivés morphologiquement : doux, dur : avec toucher, appuyer, enfoncer, etc., froid, chaud, avec brûler, geler, etc., lourd, léger, avec porter, tomber, peser, ou beau, laid, agréable, désagréable, avec aimer et plaire, ou encore triste, tristesse, joyeux, joie, avec éprouver, ressentir, etc. Les adjectifs de couleur, qui n'ont de relation qu'avec le verbe voir sont les plus autonomes et appellent la comparaison avec des objets naturels.
5. COMMENT TRAVAILLER LE VOCABULAIRE INCONNU ? EN EXTENSION ? EN APPROFONDISSEMENT ?
La question signifie apparemment "vaut-il mieux apprendre un grand nombre de mots superficiellement ou un petit nombre bien travaillés" ? Je réponds : l'essentiel est de bien travailler des mots fréquents et polysémiques, pour bien clarifier les structures mentales qu'ils recouvrent. Ce premier travail amènera tout naturellement son lot de dérivés, de synonymes et d'antonymes. Cela fait, des mots plus rares, quand on les rencontrera, se situeront tout naturellement dans un ensemble cohérent. Je ne dis pas qu'un mot rare, inconnu, et d'aspect bizarre, ne puisse pas exciter la curiosité des élèves, leur donner l'impression agréable d'être très savants, comme un peu de poivre ou de moutarde relève un plat un peu fade. Mais point trop n'en faut. Je relève, dans les textes et exercices qui m'ont été soumis lunule, lupuline, noème, photon, sélénite, épiphénomène, nécromancie. Il me semble que c'est un peu forcer sur le poivre et la moutarde.
Les mots techniques, les termes propres aux différentes spécialités ne sont pas le gibier de l'enseignant de français, ils s'apprennent tout naturellement quand on pratique ladite spécialité.
Un rédacteur d'exercices se plaint à juste titre de l'usage abusif que ses élèves font de mots comme truc, machin : chose et objet seraient certes plus académiques. Il affirme qu'on doit toujours aller du mot passe-partout au mot propre : Je réponds oui et non ; ça dépend des cas. Il y a des circonstances où il est nécessaire de préciser si l'animal de compagnie de Dupont est un teckel ou un dalmatien et d'autres où il serait incongru de ne pas utiliser tout simplement le mot chien. On peut, bien sûr, citer quelques dénominations précises, parmi les plus courantes, mais tout le monde n'est pas appelé à devenir vétérinaire et n'a pas besoin d'absorber des listes détaillées de noms de races de chiens. Une personne peu experte en matière canine ne choquera personne en parlant d'un petit chien et d'un gros chien. Par contre, il est très intéressant, pour ceux qui ne les connaîtraient pas, qu'on leur enseigne, en les commentant, les locutions usuelles où figure le mot chien :
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Primo, celles qui parlent des diverses finalités de l'élevage des chiens dont on peut faire des chiens policiers, des chiens savants dans les cirques, des chiens de chasse, de berger, de garde (Attention : chien méchant ), d'avalanche, d'attaque, d'aveugle, et même d'appartement.
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Secundo, celles qui dessinent une image du chien esclave de son maître, animal maltraité et méprisé, bien présente dans l'imaginaire linguistique des Français, même si la réalité d'aujourd'hui tend à devenir différente. Citons les plus courantes : chienne de vie ! - éprouver un mal de chien à faire quelque chose - métier, travail, vie, temps ou froid de chien - un temps à ne pas mettre un chien dehors - traiter quelqu'un comme un chien - crever, être enterré comme un chien - un objet (même pas) bon à jeter aux chiens - un autre objet qui n'est pas fait pour les chiens : servez-vous en, vous autres, humains ! - faire la chronique des chiens écrasés : parler de choses sans importance - être comme un chien à l'attache - avoir un air, des yeux de chien battu - être chiennement payé. Et puis des dictons et proverbes : un chien regarde bien un évêque : réponse à qui vous reproche un regard indiscret - Les chiens aboient, la caravane passe - et le titre d'un roman célèbre : chiens perdus sans collier sur les enfants abandonnés.
Un enseignant de Fourmies avait organisé dans sa classe un "atelier météo" qui fonctionnait tous les matins, dès l'accueil : température, état du ciel, direction du vent, etc. Excellent exercice d'observation certes. Mais au point de vue lexicologique, le profit semble limité. À part les locutions récurrentes le plus usuelles sur le temps qu'il fait, on apprendra des mots comme cumulus, nimbus, stratus, strato-cumulus, précipitation. Tout cela me paraît moins urgent que d'apprendre à manipuler dans tous ses emplois le verbe prendre ou le verbe mettre.
Mon avis est qu'il faut commencer par le commencement : bien manier les mots "passe-partout" avec toutes leurs possibilités. Les mots plus spécialisés se caseront ensuite avec la plus grande facilité dans les structures ainsi mises en place.
6. DU BON USAGE DES DICTIONNAIRES
"On n'apprend pas le vocabulaire dans un dictionnaire !" écrit l'un des intervenants. On a besoin de contextes pour définir les mots. À ce collègue, je répondrai qu'il y a deux grands types de dictionnaires : les dictionnaires de type encyclopédique, illustrés d'images et donnant toutes sortes de renseignements historiques, géographiques, scientifiques, mais fort peu de contextes, dont le représentant typique est le Petit Larousse. On y trouvera l'explication de mots techniques, mais dans l'ensemble ce n'est pas là qu'il faut chercher la matière des leçons de vocabulaire. Il y a, d'autre part, des dictionnaires de type linguistique, qui donnent des contextes abondants, souvent tirés d'œuvres littéraires, dont le représentant typique est le Petit Robert. Ceux-là sont extrêmement utiles pour l'enseignement du vocabulaire. Utiles à qui ? Surtout au maître ! Bien sûr qu'il faut familiariser les enfants avec les dictionnaires, mais on ne fera "chercher dans le dictionnaire" à de jeunes élèves (connaissant tout de même l'ordre alphabétique !) que des mots relativement rares et monosémiques avec lesquels ils ne sont pas familiers. On ne les enverra pas se perdre dans les vastes articles consacrés aux grands polysèmes qu'ils croient connaître quoiqu'ils en ignorent beaucoup d'emplois.
"Il n'existe aucun inventaire syntagmatique du lexique conçu pour l'enseignement du français langue maternelle" me dit-on encore. Il en existera bientôt un : une des finalités du Dictionnaire du français usuel déjà cité, de Jacqueline Picoche et de Jean-Claude Rolland, est de combler cette lacune, donnant les "structures actancielles" des mots étudiés.
On se plaint qu'il soit "rare que le contexte soit assez riche pour révéler toutes les facettes d'un mot". C'est non seulement rare, mais impossible, sauf ambiguité involontaire, ou recherchée pour une raison ou pour une autre (faire des jeux de mots, tromper le destinataire...). Le contexte, justement, est sélectif, c'est lui qui désambiguise le mot polysémique, et indique au destinataire du message dans quel sens il doit être interprété. Il faut plusieurs contextes bien différenciés pour révéler tous les emplois - ou, disons mieux, les principaux emplois - d'un polysème, le nombre de ses emplois étant en principe illimité.
J'ai trouvé dans les dossiers qui m'ont été fournis des conseils raisonnables pour une utilisation maximale du contexte ; mais il faut bien voir que le contexte "met sur la voie" du sens d'un mot inconnu, permet de faire une hypothèse sur ce sens, mais ne le révèle pas entièrement. Si c'était le cas, le mot inconnu n'apporterait rien au message, serait une pure et simple tautologie. Le contexte du mot nécromancie qui apparaissait dans un des textes utilisés, aboutissait au mieux à une définition comme "la nécromancie est une pratique magique", mais ne disait rien de spécifique. Pour en savoir plus long, il fallait obligatoirement le chercher dans le dictionnaire.
7. L'APPRENTISSAGE DU VOCABULAIRE PAR LA LECTURE DE TEXTES
Bien sûr qu'on enrichit et qu'on affine son vocabulaire en lisant ! C'est une vérité d'évidence ! On me dit que le rôle de l'école est d'accroître la motivation à lire, l'essentiel de l'apprentissage du vocabulaire venant des lectures personnelles de l'élève. Eh oui, mais s'il ne lit pas ? ou s'il ne lit que des bandes dessinées à vocabulaire pauvre ? Du moins fera-t-il en classe quelques lectures, et le maître pourra veiller à ce qu'il ait un dictionnaire sous la main pour chercher les mots inconnus qui s'y rencontrent et ne pas se contenter de l'hypothèse sur le sens suggérée par le contexte.
Mais partir d'un texte pour faire une leçon de vocabulaire, sous le nom d' "activité d'approfondissement" est forcément ou artificiel ou non systématique. Non systématique si on se contente des mots rencontrés dans le texte, qui ne couvrent jamais l'ensemble des principaux éléments d'un champ actanciel, artificiel si, à propos d'un texte on développe tout un ensemble lexical qu'il ne contient pas et avec lequel il n'a qu'une relation vague. Je suis tombée dans les dossiers fournis, sur un texte du genre fantastique à partir duquel l'enseignant avait développé le thème de "la peur". Le "vocabulaire de la peur" ainsi répertorié comportait les mots fantôme et cimetière . Par contre, on n'y trouvait pas des verbes comme craindre et s'inquiéter... Or, on peut avoir peur de toutes sortes d'autres choses que de fantômes, ce n'est même pas un cas très fréquent.
D'autre part, il est rare qu'un texte ne donne matière qu'au développement d'un seul thème. Prenons l'exemple du Petit Poucet, illustré par la photocopie d'une gravure de Gustave Doré, compliquée et sombre, peut-être peu lisible pour des enfants. L'enseignant voulait développer à ce sujet le vocabulaire de la parenté, des sentiments, des lieux et des déplacements. C'est beaucoup ! C'est très bien pour une explication de textes, mais c'est trop pour une leçon de vocabulaire.
Supposons, par contre, qu'un enseignant ait fait une leçon de vocabulaire systématique à partir du mot chien, comme celle que nous avons suggérée plus haut. Il est tout naturel, après cela d'aborder la fable de La Fontaine Le loup et le chien et d'en tirer le meilleur profit. De même, quelques bonnes leçons de vocabulaire sur les mots acheter et vendre, prêter et emprunter, devoir, intérêt, permettraient aux élèves d'entrer de plain-pied dans la comédie de L'Avare.
Bref, je vois une leçon systématique de vocabulaire plutôt comme un préalable à l'étude d'un texte que comme une conclusion à cette étude. Et je pense qu'il serait souhaitable que les programmes et instructions officielles prennent en compte cette orientation.
8. PROBLÈMES DE TERMINOLOGIE ET DE DÉFINITION
Faut-il donner aux élèves une terminologie, et laquelle ? Je réponds "le moins possible" ; aucune aux petits, et pour ceux qui ont déjà fait de la grammaire, la terminologie la plus usuelle et la plus simple : pour les fonctions : sujet, complément, attribut, pour les formes verbales : infinitif, indicatif, subjonctif, pour la sémantique : synonyme, antonyme, dérivé, état - action - concret - abstrait - humain - Nous n'en utilisons pas d'autres dans notre Dictionnaire du français usuel.
- Quelle technique je préconise pour faire définir le sens d'un mot ? Je crois que moins on définit (du moins par la forme canonique habituelle, par genre prochain et différence spécifique), mieux ça va... La question qu'est-ce que c'est que X ne convient que pour les noms, et encore les noms concrets : Ex. : "Qu'est-ce que c'est qu'un ordinateur ? c'est une machine qui sert à faire telles et telles opérations". "Qu'est ce qu'un miroir ? un objet qui nous sert à voir notre propre image" - Un objet fabriqué se définit premièrement par sa finalité et son usage, secondement par ses caractères physiques. Pour miroir, prendre pour genre prochain plaque de verre et pas objet servant à... serait absurde - un objet naturel se définit par ses caractères physiques les plus saillants. Le travail de définition sert surtout à donner des catégories : catégories de plantes, d'animaux, de machines et de procédés de fabrication. Plus ces catégories sont complexes, plus il est facile de définir : tout le monde donnera sans peine une définition au moins sommaire du mot télescope. Mais donner une bonne définition du verbe voir est une autre affaire. On arrive, en suivant la route des définitions, à des terminologies dont il n'est pas question de nier l'utilité pour les spécialistes, mais auxquelles il n'y a pas lieu de faire une grande place en classe de français.
Autre question : "qu'est-ce que c'est que la liberté ?" La réponse canonique est que "c'est la qualité d'un sujet libre", un nom devant en principe être défini par un nom selon le sacro-saint principe de la substituabilité de la définition au défini. Or, il est rarissime que la définition soit réellement substituable au défini. Et cela aurait-il un sens de faire des catégories de qualités ? Je trouve beaucoup plus naturelle, et non coupable, la définition qui vient spontanément à l'esprit des enfants : "la liberté , c'est quand on est libre". Mais qu'est-ce que c'est qu'être libre ? Avec cet adjectif fort abstrait, nous arrivons nécessairement à une structure verbale :
" A1 (autrement dit l'actant n°1) est libre .
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s'il n'existe pas de A2 (ou actant numéro 2) qui force A1 à faire ce qu'il ne voudrait pas faire ou à ne pas faire ce qu'il voudrait faire,
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si cet actant A2 existe, mais n'use pas de sa force ".
À l'enseignant de donner des noms à A1 et à A2 et de trouver les moyens de faire avaler avec plaisir et intérêt la potion amère de cette structure abstraite rébarbative. Toute rébarbative qu'elle est, elle rend compte de tous les emplois, si variés soient-ils des mots libre et liberté et permet de construire tout un champ actanciel de la contrainte et de son contraire.
La majorité des noms et adjectifs abstraits reposent en dernière analyse sur des structures verbales. Ce sont elles qu'il faut définir, et il faut le faire de préférence à la 3e personne du singulier du présent de l'indicatif sans omettre aucun actant, même si tous n'apparaissent pas toujours en surface. On ne peut pas définir les mots repas et aliment sans avoir défini préalablement le verbe manger. Bien sûr il arrive qu'on emploie ce verbe sans préciser son objet. Mais, pour le définir, il est indispensable de le préciser.
A1, humain ou animal mange A2 animal ou végétal : il met dans sa bouche, mâche et digère A2, afin d'accumuler l'énergie nécessaire pour continuer à vivre.
Qu'est-ce que c'est qu'un aliment ? c'est A2 (toute matière animale ou végétale que A1, etc.).
Qu'est-ce que c'est qu'un repas ? A1 fait un repas quand il mange en une fois plusieurs aliments, ce qui se reproduit, en général, pour les adultes, trois fois par jour, à heures plus ou moins fixes.
9. EXPLICITEZ, JUSTIFIEZ LE CHOIX DE LA POLYSÉMIE
Ce choix est lié à celui de partir d'un mot de haute fréquence plutôt que de partir d'un thème pour organiser une leçon de vocabulaire. Cela ne signifie pas qu'il soit coupable de partir d'un thème (c'est-à-dire de l'extra-linguistique) quand on a de bonnes raisons pour le faire. Mais il faut savoir que dans ce cas, on privilégiera la disjonction des polysèmes en homonymes.
Exemple : Si je fais une monographie sur "le vocabulaire du pétrole", je parlerai de raffiner, de raffinage et de raffinerie sans me soucier du lien sémantique de ces mots avec l'adjectif fin ni avec ses autres dérivés, comme la finesse et le raffinement. Mais si je m'empare de l'outil linguistique qu'est l'adjectif fin pour en explorer toutes les possibilités, donc de la structure actancielle de base " A1 est fin ", et si j'entreprends d'étudier toutes les sortes de A1 associables à cet adjectif et toutes les manières pour A1 d'être fin, et pour A2 de rendre fin un A1 qui ne l'est pas, je serai amenée à étudier tous les dérivés les uns par rapport aux autres, avec leurs ressemblances et leurs différences.
Le mot feu, ainsi que ses dérivés sémantiques, sinon morphologiques (brûler, flamme, ardent, etc.) sert à parler de toutes sortes de choses qui ne sont pas du feu (l'impatience, la colère etc.). Si vous partez du thème du "chauffage" ou de "l'incendie", vous ne parlerez du feu que dans ses emplois concrets et vous ferez de l'étiquetage. Mais si vous partez de l'outil linguistique qu'est le mot feu, vous enseignerez une multitude de locutions qui apprendront aux élèves à utiliser un mot concret au propre et au figuré. La métaphore est, avec la métonymie, un des grands mécanismes sémantiques à l'œuvre dans toute langue. Le fameux "langage des jeunes" est plein de métaphores qui jaillissent spontanément. Même quand il s'agit d'un polysème abstrait, par exemple le verbe apprendre, la prise de conscience globale de ses différentes possibilités (le savoir-faire, le savoir théorique et le renseignement) permet une réflexion sur l'acte d'apprendre totalement impossible si vous les disjoignez.
Les mots sont une matière souple qu'il ne faut pas figer et raidir. Les métaphores ne sont pas les mêmes dans toutes les langues. Il y a une logique interne aux polysémies, particulière à une langue donnée. C'est leur organisation qui, en grande partie, fait qu'une langue est une "vision du monde" différente d'une autre. Si l'enseignement du français, à côté de celui des langues vivantes, permettait d'en prendre conscience, l'intercompréhension en profondeur entre communautés linguistiques différentes en serait grandement facilitée.
10. LA "HAUTE FRÉQUENCE"
La haute fréquence a été un sujet de perplexité pour mes interlocuteurs. On m'a demandé ce que sont les mots français de haute fréquence, comment ils ont été répertoriés et classés, si des enseignants du primaire peuvent utiliser ce classement, s'il existe un classement relatif à la fréquence dans lequel l'âge des enfants soit pris en compte... À toutes ces questions, j'ai répondu que la fréquence est un objet empirique, comme toute donnée statistique faite d'après un échantillon, qu' il existe diverses listes de fréquence toutes faites d'après des corpus écrits à l'exception d'une seule, celle du Français fondamental, qui a pris en considération un certain nombre de textes oraux. Ces listes n'ont rien d'ésotérique et on ne voit pas ce qui empêcherait les enseignants du primaire de les utiliser, mais, à ma connaissance, les recherches pédagogiques ne les ont pas encore prises en considération, et je ne vois pas très bien comment on pourrait classer les mots plus ou moins fréquents en fonction de l'âge des enfants.
La fréquence des mots est tributaire de la nature du corpus dépouillé et il y a des différences considérables d'une liste à l'autre. Mais, avec des différences de détail dans l'ordre des mots, on constate une convergence importante des listes fondées sur des corpus littéraires jusqu'au rang 800 ou 850. Nous avons pris pour base de notre Dictionnaire du français usuel la liste de fréquences du Trésor de le Langue Française ou TLF (non sans lui faire subir quelques retouches pour des raisons trop longues à exposer ici). En effet, elle est fondée sur un corpus de 90 millions d'occurrences (70 millions provenant de textes littéraires de 1789 à 1965 et 20 millions de textes non littéraires) représentant environ 70 000 vocables, base incomparablement plus importante qu'aucune des autres et elle a été étudiée statistiquement par Etienne Brunet qui a calculé que les mots de fréquence supérieure à 7000 qui sont 907, couvrent 90 % du corpus. Ce sont ces mots-là que nous appelons "mots de haute fréquence" ou "hyperfréquents". On en trouvera la liste dans notre Didactique du vocabulaire français. Les mots de fréquence inférieure à 7000 mais supérieure à 500, qui sont 5800, couvrent environ 8 % de l'ensemble et tout le reste à peine 2%. Il est donc raisonnable que l'effort d'apprentissage du français commence par le maniement de toutes les ressources des mots de haute fréquence à partir desquels on pourra acquérir les mots de moyenne fréquence, ne rescapant des 2% restants que les noms concrets les plus usuels, et laissant aux spécialistes les mots techniques dont la fréquence n'est pas significative.
Un exemple : le mot bouilloire, dont nous sommes partis pour constituer un petit champ actanciel n'apparaît pas parmi les mots de fréquence supérieure à 500 ; par contre le verbe bouillir et le nom bouillon affichent respectivement 552 et 582, ce qui n'est pas énorme. Mais brûler arrive à 10 525 et feu culmine à 18062.
En somme quelque 7000 mots (mais entrant dans combien de tournures plus ou moins figées !) constituent déjà un bagage raisonnable pour communiquer par la parole ou par la lecture. Dans quel ordre et selon quelle progression mener leur étude, c'est aux pédagogues de terrain de faire des essais, d'utiliser les listes de fréquence comme des indications utiles mais sans s'en rendre esclave, de voir ce qui marche le mieux et dans quelles classes, de mettre au point des exercices, et peut-être, d'élaborer des programmes.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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BRUNET (E.). 1981. Le vocabulaire français de 1789 à nos jours d'après les données du "Trésor de la Langue Française". Vol. I : 852 p. ; vol. II : 518 p. ; vol. III : 453 p. Genève-Paris : Slatkine-Champion.
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PICOCHE (J.). 1993. Didactique du vocabulaire français. 11 p. Paris : Nathan.
Jacqueline PICOCHE
Université de Picardie
Cahiers de Lexicologie 78, 2001 - 1