Lettre Vocanet février 2019

 

 

février  2019

 
 
   

Le mot de Jacqueline Picoche

Chers amis,

Je me penche dans cette lettre sur le mot CONTENT que j’avais traité pour la GSM. Mais puisque c’est un mot très riche qu’on peut traiter à des niveaux plus avancés, voici quelques nouvelles pistes.

Quel que soit le niveau où on le traitera ce mot il faudra bien faire de la syntaxe, la moindre phrase commençant par je suis content continuant obligatoirement par de + infinitif : je suis content d’être…, d’avoir…, de faire…, de venir… ou par que et le subjonctif.

Et les verbes les plus fréquents en français, ceux qui viennent tout naturellement à l’esprit, ont des formes de subjonctif bien distinctes de l’indicatif : je suis content que tu sois… que tu aies… que tu fasses… que tu dises… que tu viennes… que tu finisses…

Aux niveaux les plus précoces (GSM) cette syntaxe sera intuitive et implicite. On se contentera de mettre dans les juvéniles oreilles ces formes anciennes, fondamentales, très caractéristiques de la langue française et qui à elles seules maintiennent en vie la distinction indicatif/subjonctif. Mais aux niveaux un peu plus élevés (mettons CE2) il me semble qu’on pourrait introduire sans difficulté insurmontable les notions d’infinitif et de subjonctif.

Or, le champ sémantique de nos états affectifs positifs était quasi absent de la liste des fameux 144 mots où ils ne sont représentés que par CONTENT en GSM et par PLAISIR en 6: ni bonheur, ni heureux, ni joie n’y apparaissent. Or, si je consulte la liste de fréquences que m’a fournie mon ami Étienne Brunet, du temps où je travaillais au DFU, je constate que content (6023 occurrences) est bien loin d’être le plus important de ces mots. Plaisir (21358) est plus riche, mais bonheur (19208), heureux (22076) heureusement (33750) et joie (17154) lui font une rude concurrence.

J’ai relu ma fiche plaisir (6e). Elle est très longue et j’essaye d’y rescaper l’ensemble du champs sémantique. Ce que je dis de l’opposition plaisir/joie est à la rigueur suffisant, mais heureux et bonheur sont injustement traités ce qui mériterait réparation. Cependant, si nous choisissons de retravailler le mot content ne serait-il pas intéressant de le confronter à ses parasynonymes ?

Un certain sujet JE a reçu de sa tante Julie l’annonce de sa prochaine visite.

Il a plusieurs choix de réponse :

Chère tante Julie

  • Je suis content de te voir bientôt ou que tu viennes nous voir

  • Ça me fait plaisir de te voir bientôt ou que tu viennes nous voir

  • Quel plaisir de te voir bientôt ou que tu viennes nous voir

  • Je suis heureux de te voir bientôt ou que tu viennes nous voir

  • Quel bonheur de te voir bientôt ou que tu viennes nous voir

  • Quelle joie de te voir bientôt ou que tu viennes nous voir

Est-ce que toutes ces expressions se valent ? pas tout à fait, n’est-ce pas ? De je suis content à quelle joie ! il y a une gradation.

Et vous ne trouvez pas qu’il serait gauche de dire : Quel contentement de te voir ! Ou Je suis joyeux de te voir ?

Il doit bien y avoir une raison à ça. Réfléchissons-y et la suite au prochain numéro !
 


 
   

Le mot de Bruno Germain

 

Le vocabulaire et la question du dictionnaire

difficultés d’apprentissage

Depuis 30 ans, et malgré les diverses formulations, les programmes et recommandations institutionnelles concernant l’utilisation du dictionnaire ont en vérité peu varié et visent essentiellement l’apprentissage de la recherche alphabétique, de l’exploration d’une signification selon les contextes sémantiques et de la vérification orthographique. Ils constituent donc moins des outils d’apprentissage encyclopédique que lexical et constituent moins des outils pour les élèves que pour les lettrés.

A l’école, l’utilisation du dictionnaire s’avère en effet restreinte et rare. D’autant plus que le maniement représente pour des nombreux élèves une sorte de tourment. En effet, rechercher un mot mal connu présente une quantité de pièges : un mot polysémique impose la lecture de significations variées, et il est probable que le lecteur aura oublié le contexte dans lequel il doit réintégrer le sens juste enfin trouvé, avant même d’arriver au bout de la lecture d’un article. Pire, cet article, pour être précis, propose une définition condensée, utilisant par ailleurs des exemples tirés de la littérature, contenant à leur tour des mots inconnus… Faut-il repartir à la chasse pour ceux-là afin de comprendre la définition initialement cherchée ? Chaque recherche est une mise en abime qui s’avère plus que rébarbative, définitivement paralysante, notamment pour les non littéraires.

L’initiative de Alain Bentolila dans « Leçon de mots » au sein du CIFODEM vise à une pratique alternative dans laquelle les élèves partagent oralement leurs représentations autour d’un mot, pour débattre ensuite de ses significations. Le retour ultime vers le dictionnaire, comme arbitre légitime semble plutôt réservé aux grandes classes et au collège.

Pourtant, et afin de donner une idée de la diversité et de la richesse qui est mise à la disposition des enseignants et des élèves en matière de dictionnaires, on pourra consulter le site les-dictionnaires.com.

Au sein  de Vocanet, les références impératives restent le DFU et Vocalire.

Difficulté liées à l’apprentissage du vocabulaire

En collaboration avec Guy Denhières (CNRS) à qui nous devons d’avoir ouvert quelques pistes d’observation liées à l’apprentissage spontanée du vocabulaire, nous avons pu repérer et recenser auprès d’élèves de l’académie de Paris, en élémentaire, du CP au CM2 les difficultés que voici.

La connaissance du monde liée à la culture média

Si l’on demande à un élève ce que veut dire le mot inondation, et même si on lui propose des mots pour l’aider comme tsunami ou volcan sous-marin, on obtient des réponses du type Je connais, j’ai déjà vu à la télévision, mais sans pouvoir donner des précisions, puisque le concept n’est pas acquis. Parfois un mot est même totalement détourné de sa signification par un contenu télévisuel ou par le biais d’internet. Par exemple, si des enfants sont capables d’indiquer que cobra est un serpent venimeux, d’autres font référence à une série télévisée !

Les mots-racines et leur dérivation

Les élèves ne reconnaissent pas bien les liens existants entre mots-racines et leurs dérivations. Ils disent par exemple ne pas connaître les mots gain et soustraire, mais ils peuvent répondre pour gagner et soustraction. Le mot astronomie n’est pas connu et astronaute est défini comme un monsieur avec un casque qui va dans la lune. Ceci pose le problème du terme à acquérir , au cours de l’apprentissage : mot racine, et/ou formes fléchies ou dérivées.

Les mots-bipolaires

Ce sont des mots qui se caractérisent en général par une opposition : soustraction/addition, victime/agresseur, précédent/suivant, et même les couples lourd/léger, beau/laid, vide/plein, etc. Ils ont un ordre d’acquisition chronologique : addition s’acquiert avant soustraction ; agresseur s’apprend avant témoin mais après victime, etc. Ceci invite à réfléchir aux liens qu’on peut créer lors de l’apprentissage : on retient bien les couples, donc quitte à connaître l’un des deux termes, autant faire découvrir sans attendre ceux qui l’accompagnent habituellement.

Les confusions sémantiques

Le mot grondement (un bruit sourd, comme le grondement de l’orage) est massivement confondu avec gronderie, beaucoup moins fréquent, car évoqué par le verbe gronder.

Les assonances et consonances

Les mots irriter, colossal, présage sont majoritairement inconnus. De nombreux élèves interrogés proposent des définitions de termes phonétiquement similaires : imiter pour irriter; sale et/ou collé pour colossal, (très) sage pour présage. On constante que les élèves cherchent bien à tort des liens sémantiques, en s’appuyant sur la proximité phonologique.

Les marqueurs de causalité, les petits mots fonctionnels de la langue

Parce que qui indique une relation de causalité : dire pourquoi, pour quelle raison, pour quel motif, ...est difficilement compris par les plus jeunes. Il faut attendre le cours moyen pour un usage adapté, et encore pas par tous les élèves, mais seulement par une partie d’entre eux.

Les homographes et homophones

Le mot ancre (le marin a jeté l’ancre) est moins connu que encre (mon imprimante n’a plus d’encre) ; le mot compte (le commerçant vérifie ses comptes), est moins connu que conte (lis-moi un conte) …

Dans notre prochaine Lettre nous nous intéresserons aux pratiques à éviter en classe.
 

 

 

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