LE DÉBUT DE LA COLLABORATION AVEC LES ENSEIGNANTS

Jacqueline Picoche

Cet article est le récit, du début d'une expérience voulue par Bruno Germain, qui dirigeait à l’époque l'Observatoire de la langue française au Ministère de l'Éducation Nationale. Il avait recruté une petite équipe d'enseignants volontaires pour travailler sous ma direction et selon mes quatre principes fondamentaux : trois professeurs des écoles travaillant en troisième cycle du primaire et ayant déjà une dizaine d'années d'expérience : Cécile Gérard, Fabrizio Perseu, puis Adrien Wallet, encore très actif aujourd’hui dans l’équipe Vocanet, auxquels se sont adjoints plus tard une enseignante en grande section maternelle, Laetitia Yuceer, et enfin un professeur de collège, Sébastien Souhaité. J'ai pris le parti de citer de larges extraits des échanges que nous avons eus par internet, pour bien montrer que les "quatre principes" ont bien été mis à l'épreuve d'un travail "sur le tas". Ces échanges se sont déroulés du 2 février 2011, date de notre première rencontre, jusqu'à à la fin de l'année scolaire. Ils ont repris dans d'autres conditions durant l'année scolaire 2011-2012. Les différents acteurs de cette étape de notre entreprise seront dorénavant désignés par les initiales suivantes : C (Cécile) F (Fabrizio) A (Adrien) B (Bruno) P (Picoche). Tous ces enseignants ont entre les mains le Dictionnaire du Français Usuel (DFU), que l'éditeur, intéressé par l'expérience, leur a fourni gracieusement. On peut voir que dès le début toutes sortes de questions fondamentales ont été posées

B estime que le DFU, "tel que présenté dans sa forme actuelle est difficilement exploitable par des enseignants non avertis. En d'autres termes, il retient exactement une formule de P : "l'outil est un déclencheur". C, elle, considère que le DFU "s'impose comme outil, non à destination des élèves (pour le moment), mais comme base pour l'enseignant. Le travail considérable de recherche, de mise en relation effectué pour réaliser le DFU, nous permet de prévoir, d'induire et d'organiser les propositions des élèves". P considère que "pour le moment" est peu réaliste. Le DFU a bien été conçu comme un "livre du maitre", pas de l'élève (sinon à un niveau supérieur), un travail fondamental de classement, à charge pour le maître de faire le travail d'adaptation à son public, selon son niveau. Par contre, on pourrait envisager de mettre sous les yeux des élèves, par exemple, en fin de leçon, au moment de passer à la rédaction, la réduction du DFU, passant de 15.000 à 7.500 mots, faite par Jean-Claude Rolland sous le titre Vocalire qui devrait être prochainement disponible.

Le grand déballage

P : cette première étape, évidemment orale, est un point de départ indispensable. On part de ce que les élèves connaissent. A partir d'un mot de haute fréquence choisi dans le DFU, auquel les enseignants reconnaissent surtout le rôle de "déclencheur", les élèves déballent tous les mots qui leur viennent à l'esprit. Bien entendu, ce "déballage" n'a qu'un rapport lointain avec l'article du DFU. Peu importe.

F : "J'ai présenté l'activité en écrivant au tableau le mot mer (nous avons convenu avec Cécile de commencer par ce mot) et demandé aux élèves des mots que leur évoquait le mot mer. Les doigts ont commencé à se lever et j'ai pris note au tableau des mots qui m'étaient énoncés. J'ai commencé à les organiser par groupes sans rien dire". F : "Pour notre deuxième essai nous avons choisi le verbe manger. J'ai procédé de la même manière que le première fois. Au début j'ai laissé les élèves dire les mots qui leur passaient par la tête, puis nous les avons organisés en familles de sens en donnant un titre à chacune".

P : Il est en effet nécessaire que l'enseignant oriente discrètement le travail dans le sens où il veut aller. Pour cela, l'article du DFU peut lui donner des idées. Il faut aussi qu'il sache couper court pour éviter un foisonnement excessif et trop de temps consacré au déballage. Exemple à propos du mot MER : C : "Les élèves se sont naturellement mis à chercher des mots « de la même famille », et s'est posée à ce moment là la question pour le mot MARE. Certains se sont empressés d'ouvrir leur dictionnaire pour en vérifier l'origine". P : Il aurait fallu couper court tout de suite à cette dérive étymologique qui n'allait pas dans le sens de vos orientations. On ne va pas aller patauger dans les mares et les marais. On reste en mer. C'est déjà bien assez. Comme le montre la réflexion suivante de C : "Au bout de 45 minutes, à peine la moitié de ce que j'avais envisagé de traiter avait été évoquée. Je pense donc faire une deuxième séance à partir du même mot".

Les séances

P : "je demande à Fabrizio et Cécile, de me tenir au courant des cinq mots têtes d'articles du DFU qu'ils auront choisis pour cinq leçons successives étalées sur cinq semaines, avec préparation orale puis réutilisation écrite, et de me dire, au fur et à mesure comment chacune de ces leçons aura marché, sur quoi les élèves ont buté ce que ça leur aura apporté de nouveau". C : "Comme prévu, je me suis limitée à une séance de 40 minutes. Et en découle mon 1er constat : c'est extrêmement court, et trop juste me semble-t-il pour « faire le tour » du sujet". P : À mon avis, il n'est pas question de faire en 40 minutes le tour du sujet qui est immense, mais, en triant, dans le déballage quelques mots bien choisis, plus quelques autres auxquels les élèves n'ont pas pensé et qu'on leur aura fait trouver, appliquer les principes fondamentaux que je juge essentiels. Il est évident que, selon la nature du déballage, les mots choisis seront différents, qu'il n'y aura pas deux enseignants pour faire exactement la même leçon, et que même en procédant ainsi, les 40 minutes seront un cadre bien étroit. On était parti sur une hypothèse de 2 séances par semaine, et voilà qu'il semble que trois séances soient nécessaires pour aboutir à la séance consacrée à l'écrit, mais évidemment, cela tient trop de place dans un emploi du temps ordinaire. C : Comme je le prévoyais, le rythme de 3 séances par semaine est bien difficile à tenir en ce qui me concerne. P : On constate que les cinq leçons étalées sur cinq semaines était un projet très ambitieux !

Le plaisir des élèves

C : "La classe s'est très vite « prise au jeu », y compris les « petits parleurs », et les élèves ont semblé éprouver un certain plaisir à participer à cette activité". Dans une autre séance : "A peine les affiches installées et le mot « manger » écrit au tableau, les élèves ont reconnu l'activité et ont montré un grand enthousiasme". A mentionne aussi l'"enthousiasme" des élèves.

Définitions A, "Ayant fait recopier les mots écrits au tableau je donne cette consigne : « Entoure les mots que tu ne comprends pas bien ou ceux dont tu n'es pas sûr de connaitre exactement le sens ». "Les élèves s'expliquent les mots ou expressions qui posent problème avec l'intervention du maitre quand c'est nécessaire. On se rend compte par l'explication des élèves que certains contresens persistent. Des élèves croient savoir et quand ils expliquent on se rend bien compte des lacunes sémantiques".

C : à propos de mer : "Un des premiers mots cités a été océan. Aussi, il a tout de suite fallu distinguer ces deux mots, ce qui a permis dès le début de la séance de définir le mot mer, définition que j'ai alors écrite sur une des affiches". P : C'est très bien de définir par comparaison de parasynonymes comme vous l'avez fait avec mer et océan. Mais il n'est pas du tout nécessaire de chercher des définitions complètes et canoniques avec genre prochain et différence spécifiques, définissant un nom par un nom, un verbe par un verbe…. L'essentiel, ici, c'est que l'océan est encore plus grand que la mer qui est déjà un espace aquatique très grand, d'où les locutions une mer… un océan… de choses abstraites. Et il n'est pas nécessaire de définir des mots dont le sens ne pose de difficulté pour personne. Ne vous attardez pas à définir quand ce n'est pas utile. Chercher dans le dictionnaire ? Oui et non ! Cela prend beaucoup de temps et les définitions sont souvent plus difficiles à comprendre que le défini.

"Familles" de mots

F : "Au bout d'un certain nombre de mots, les élèves ont commencé à comprendre ce que je faisais et ont pris le parti de remplir certaines "familles", qui les inspiraient le plus. Quand les élèves ont commencé à être à court d'idées j'ai essayé de faire compléter quelques "familles", que les élèves avaient un peu négligées, en les relançant par un questionnement et surtout en essayant de leur faire comprendre à quel mot générique pouvaient se rapporter les mots déjà présents. Quand j'ai estimé que l'activité avait assez duré, j'ai entouré au tableau les différentes "familles" et j'ai demandé de trouver un mot générique pour chacune d'entre elles". C : "Au début j'ai laissé les élèves dire les mots qui leur passaient par la tête, puis nous les avons organisés en familles de sens en donnant un titre à chacune". C classe parmi les éléments "qui lui paraissent indispensables" les synonymes et antonymes.

P : Fabrizio a photographié son tableau. Sur la photo, les mots sont groupés en "familles" sémantiques, non morphologiques, de mots plus ou moins substituables les uns aux autres, donc synonymes ou parasynonymes, ce qui est tout à fait naturel, et on voit que les élèves le comprennent très facilement. Il n'existe pas toujours de mot générique pour chaque liste ; il faut assez souvent recourir à une périphrase : ex. Les produits de la mer. Et quand il existe il est souvent plus rare et plus abstrait que les autres (aliment pour pain, viande etc.). C'est un très bon exercice de le faire trouver, cela apprend à catégoriser, ce qui est une opération fondamentale de la pensée, et cela permet des créations de phrases tels que les fruits sont de très bons aliments ou De tous les produits de la mer, il y en a un qu'on vend partout, le sel ou De tous les produits de la mer, ce sont les crevettes que je préfère.

Quant aux antonymes, ils se trouvent surtout parmi les adjectifs (mer calme, grosse, agitée) mais pas seulement. Pour manger, il pouvait être intéressant d'opposer ses substituts dévorer, engloutir à déguster, grignoter.

C est un peu insatisfaite, surtout en ce qui concerne la leçon autour du mot mer : "On retombe assez vite dans l'établissement d'une liste thématique, nous rapprochant inexorablement d'une des seules propositions jusqu'alors en vocabulaire: une fiche présentant « le vocabulaire de la mer » Or, L'idée est bien de proposer quelque chose de différent ? " P regrette de ne trouver, à propos du mot mer, dans les relevés de C et de F qu'un unique verbe : nager. Et propose d'appliquer la méthode ci-dessous :

Un classement plus méthodique à base syntaxique aurait été possible :

Cas du verbe manger : On écrit au tableau une phrase simple : Jean mange une pomme.

Et on prie les élèves de choisir, dans le "déballage", les mots qui peuvent se substituer

à Jean : tous les noms de personne ou d'animaux et plus spécifiquement, convive, et gourmet, gourmand, glouton, goinfre, ogre

à mange : avaler, engloutir, bouffer, grignoter, déguster et aussi déjeuner, gouter, diner

à pomme : tous les noms possibles de choses comestibles et aussi de façon plus générique aliment, nourriture auxquels il était facile d'adjoindre une liste de qualificatifs : délicieux, exquis, mangeable, fade etc.

Naturellement tous les mots du déballage ne sont pas utilisés. Il y a un reste qui fournit les compléments circonstanciels, de cause : la faim, de but se nourrir, de temps : matin (petit déjeuner) midi (déjeuner) et soir (diner), de lieu (salle à manger, restaurant, réfectoire) de moyen (fourchette, couteau etc.). On voit qu'un classement de ce genre induit tout naturellement les éléments fondamentaux de l'analyse grammaticale.

Cas du nom mer : On cherchera à former des phrases où il peut exercer la fonction de :

  • Sujet : la mer monte, descend et aussi moutonne, s'enfle. Elle est haute, basse, étale et aussi belle, calme, agitée, houleuse, grosse, démontée et aussi immense, profonde, infinie
  • Objet : le navigateur parcourt la mer, le pêcheur exploite la mer, l'océnographe la sonde
  • Complément circonstanciel : en mer, sur mer, sur la mer, sous la mer, dans la mer, au fond de la mer, au bord de la mer, il y a, on trouve… tous les compléments possibles qu'aura fourni le déballage (bateau, poisson, algues, étoile de mer, sable, rochers, port, phare etc.)
  • Complément de nom : eau de mer, vent de mer, sable de mer, poisson de mer, y compris des locutions figées : araignée de mer, étoile de mer etc.

On voit que l'intérêt syntaxique essentiel de ce nom de lieu est de fournir de nombreux compléments de lieu, ce qui permet de faire l'inventaire des prépositions introduisant ces compléments, et que d'autre part, c'est un bon support d'adjectifs spécifiques, ce qui permet de travailler les fonctions épithète et attribut.

Les dérivés et les exercices d'assouplissement syntaxique.

P : Un type de "famille" particulièrement important est celui qui est constitué par un mot de base (verbe ou nom) et les dérivés qui font passer son contenu sémantique dans d'autres parties du discours. Supposons que le mot mer ait suscité le verbe naviguer à partir duquel on peut, à l'aide de suffixes, construire un nom d'agent : navigateur, un nom d'action navigation et un adjectif, navigable. On a là les instruments d'un travail syntaxique dont voici un exemple : Vasco de Gama a navigué dans tous les océans et il a été le premier à faire le tour du monde. À partir de là, on peut faire diverses proposition aux élèves : "Maintenant, tu commences une phrase par La navigation de Vasco de Gama et tu la termines à ta façon". Ou bien, "tu parles de Vasco de Gama en employant le mot navigateur. A-t-il navigué sur des fleuves ? Tu réponds en employant l'adjectif navigable".

Les choses ne sont pas toujours aussi simples. Il arrive qu'un nom fonctionne comme nom d'agent ou nom d'action d'un verbe sans qu'il ait avec lui la moindre relation morphologique. On n'emploie guère le nom d'agent mangeur (si ce n'est dans la locution gros mangeur). Par contre plusieurs personnes qui mangent ensemble autour d'une table sont des convives. Le nom d'action correspondant à manger est repas (ou ses substituts, les infinitifs substantivés déjeuner, gouter, diner, et collation, casse-croute). Exemple d'exercice : Qu'avez vous mangé à midi ? du saumon et des fraises. Dites la même chose en employant le mot repas. Notre repas se composait de saumon et de fraises, phrase évidemment beaucoup plus "écrite" que la précédente. Et qu'est-ce qu'il vaut mieux dire ou écrire ? Après le repas ? ouaprès avoir mangé ? ouquand on a eu fini de manger ?

Le mot mer ne fournit aucun dérivé formé sur un radical mer-. Ils sont en mar- mots savants formés sur le radical du mot latin correspondant. C'est un cas tout à fait courant. Les dérivés de eau sont formés sur les radicaux aqu- et hydr-.Il faut habituer les élèves à jouer du mot simple et de ses dérivés savants. Exemple : Vasco de Gama naviguait sur mer (pas sur de simples fleuves). Parle de lui en employant le nom marin et l'adjectif maritime. Réponse possible : C'était un grand marin, un as de la navigation maritime.

C, à propos de mer, a classé les dérivés parmi les éléments indispensables de sa leçon mais ne les a pas employés, F non plus, dans ses deux premières leçons, et il le regrette. Apparemment, cela ne leur vient pas spontanément, ni à leurs élèves. Par contre le début du travail sur froid et chaud donne de l'espoir : A, qui n'a guère commencé à travailler que sur froid et chaud donne des listes de dérivés de bouillir, chauffer, bruler mais n'a pas eu le temps de les exploiter. F signale ceci, à propos du "grand déballage" sur froid et chaud : "Le fait marquant est que les élèves se sont tout de suite dirigés dans leur propositions vers les verbes puis les noms ou adjectifs qui en découlaient. Ils semblent qu'ils commencent à avoir le réflexe de chercher d'abord les verbes que leur évoque le mot de départ". À propos des mots à initiale frig- il écrit ceci : "Nous avons simplement observé la partie commune à chaque mot de la même famille. Les élèves savaient que cette partie s'appelait le radical, qu'il s'agissait de la racine du mot. Ils avaient aussi les notions de préfixe et suffixe. Nous avons essayé d'exprimer ce qu'ils apportaient au sens du radical". P approuve ! c'est un exercice classique, et les connaissances des élèves prouvent qu'il y avaient été entrainés dans une classe antérieure. Mais préférez le mot radical au mot racine qu'il est bon de réserver aux "racines indo-européennes", notion étymologique. Et il y a un écueil : Les dérivés morphologiques ont parfois perdu tout lien sémantique le mot de base. Si chauffard et chauffeur (à l'origine il s'agit des locomotives à charbon !) apparaissaient dans le "déballage", il fallait les écarter rapidement, sans perdre un temps précieux à faire leur histoire.

Et l'étymologie ?

C : "j'ai indiqué les bases étymologiques latine et grecques (mar-, océan- et thalasso-)". P : Je pense que dans ce cas-là, vous auriez pu vous contenter de dire rapidement que mer vient du latin mare et que le /a/ de marin et maritime est la voyelle de la forme latine qui a été conservée. Les dérivés d'océan ne présentant pas de variante, il était inutile d'en faire l'étymologie. Quant à thalasso- qui n'apparaît guère que dans thalassothérapie, c'est un mot si rare, si compliqué et si long à écrire au tableau et à recopier, qu'il aurait mieux valu le laisser tomber, à moins qu'il n'ait été trouvé et proposé par un élève.

À propos de froid et chaud, F a fait un petit relevé de mots en frig-, P pense que si des élèves particulièrement curieux et réceptifs s'étonnent que le mot froid ait des dérivés en -frig- et le mot chaud des dérivés en therm-, on peut leur dire pourquoi, et commencer à leur expliquer le rôle du latin et du grec dans les mots savants français. Il y a en français tant de dérivés savants calqués sur le latin et le grec, qu'il faut bien qu'ils s'habituent à en jouer, à côté des formes populaires.

Par conséquent, il serait bon que les élèves, dès qu'ils sont capables d'entrer dans une perspective historique, sachent : 1. que la plupart des mots usuels du français sont du latin populaire transformé par la bouche de Gallo-Romains et de barbares illettrés, mais 2. qu'au cours des siècles, des lettrés ont introduit dans leur langue beaucoup de mots directement calqués sur le latin et sur le grec. D'où l'utilité des dictionnaires étymologiques. En ce qui concerne le radical -frig- on pourrait apprendre à des élèves déjà un peu grands qu'il vient du même mot latin que froid, frigidus mais que froid est populaire et frig- savant. Pour la même raison, il aurait pu être intéressant de mettre -cal- (calorie) en rapport avec chau/chal-. En travaillant sur le mot eau qui n'a aucun dérivé populaire, il serait éclairant d'enseigner que le radical aqu- est latin et le radical hydr- grec. Mais il ne faut pas passer trop de temps sur des considérations étymologiques, beaucoup moins importantes que les exercices d'assouplissement syntaxique. Pour que l'étymologie soit vraiment intéressante et utile, il faut avoir certaines connaissances d'histoire de la langue, et de langues étrangères apparentées pour avoir des points de comparaison. Ce n'est pas possible dans les classes primaires.

Enrichir le vocabulaire des élèves

C : "Si notre objectif est d'enrichir le vocabulaire des élèves, recueillir les mots qui viendraient spontanément et prioritairement aux élèves ne me paraît pas suffisant. J'ai donc orienté fortement la recherche, posé des questions, et même donné certains mots qu'aucun élève ne connaissait ou du moins n'avait acquis au point de pouvoir l'utiliser spontanément". P : Oui, bien sûr ! il faut le faire. Un vocabulaire indigent est un handicap et on sait que certaines violences ont pour cause l'inaptitude à s'exprimer autrement. Il faut entrainer les élèves à s'exprimer avec aisance dans différents registres de langue. Mais il est inutile de focaliser sur des mots rares (comme thalassothérapie) qui seront facilement appris "sur le tas" le jour où ils se révéleraient nécessaires. Dans bien des cas, on activera un "vocabulaire passif" de mots enregistrés par les élèves mais pas assez bien connus pour être utilisés spontanément. Les 15000 mots du DFU sont déjà un trésor assez riche, et les 7500 de Vocalire, si on les manipule bien, ce n'est déjà pas mal ! Beaucoup de romanciers écrivent toute leur œuvre sans utiliser plus de 10.000 mots.

Emplois "figurés" et locutions figées

C classe, parmi les "éléments indispensables" de ses leçons, les emplois figurés. P pense qu'en effet, c'est très important. Outre son système phono-morpho-syntaxique particulier, ce qui constitue l'identité d'une langue, en contraste avec les autres langues, au point de vue sémantique, c'est l'organisation de ses polysémies et les locutions figées. Les différents sens d'un mot polysémique ne peuvent pas être exposés dans n'importe quel ordre ; il y a un sens premier et des sens seconds, ils apparaissent selon une logique interne qu'il faut respecter. C'est là-dessus qu'il faut insister si on veut que les élèves pensent en français et pas seulement dans une langue de l'immigration. "

Cas du verbemanger.F "Dans un second temps, à partir du mot faim, j'ai souhaité approfondir en faisant chercher aux élèves des expressions au sens propre et au sens figuré". P : "dans un second temps" est très bon. Je vois que vous avez trouvé une faim de loup, mourir de faim, manger à sa faim, un appétit d'ogre, un appétit d'oiseau, un bon coup de fourchette, manger à la petite cuiller, avoir le ventre creux/plein, la grève de la faim… Bon inventaire ! Vous auriez pu aussi leur poser la question : "Est-ce que vous pouvez donner aux verbes dévorer et déguster d'autres compléments que des noms d'aliments ?" Car c'est ainsi, par la voie de la métaphore, qu'on passe au "sens figuré" abstrait.

Cas du nommer :P Les possibilités sont nombreuses ! Je pense qu'il faudrait faire fonctionner au moins quelques unes des métaphores possibles :une mer / un océan de … végétaux ? De problèmes? Qu'est-ce qui peut flotter, à part les bateaux ? Est-ce que toutes les pieuvres sont des animaux marins ? Arriver au port suppose toujours qu'on est en bateau ? etc. etc. Puisque nous sommes à Paris, on pourrait même leur faire connaitre la devise et l'écu de la ville de Paris : le bateau des nautes, sur la Seine: fluctuat nec mergitur: "Il flotte mais ne sombre pas". On pourrait aussi orienter la leçon vers la pêche ou vers la navigation pour avoir des verbes des actants, et des métaphores intéressantes. Bref vous avez l'embarras du choix, mais à la fin de ces deux leçons, les élèves devraient commencer à sentir qu'il y a un symbolisme de la mer et de la navigation. On pourrait même peut-être citer un vers célèbre: Homme libre, toujours tu chériras la mer…

Cas defroid et chaud :P :un caractère froid, être reçu fraichement, froidement, un avec un air glacial, bouillir de colère, cela s'impose tout naturellement

Le passage à l'écrit

F : "Pour la deuxième séance, je pense leur demander de rédiger un court texte où l'on peut retrouver certains mots d'une famille ou de deux familles ayant un lien… En ce qui concerne la production d'écrits, j'ai pensé proposer aux élèves des verbes, des noms et des adjectifs issus de l'article manger (certains de ces mots ont été trouvés par les élèves d'autres sont apportés) et leur demander d'écrire un court texte dans lequel se retrouveraient un certain nombre de ces mots"…. "Bien entendu ils pouvaient se servir aussi de mots trouvés précédemment. Voici la liste que j'ai proposée : verbes : avaler, engloutir, dévorer, déguster, savourer, régaler - noms : couverts, couteau, fourchette, cuiller, serviette, nappe - adjectifs : gourmand, appétissant, fade, délicieux, exquis. Enfin, dans le souci qu'il reste une trace de ce travail, j'ai distribué un récapitulatif des mots et expressions trouvés". P : suppose que pendant la séance précédente, elle a bien distingué le sens des parasynonymes, et même peut-être fait trouver des emplois figurés des verbes proposés. Le travail de rédaction ne peut arriver qu'au terme de toutes les manipulations précédentes. C, après avoir travaillé sur mer, pense "proposer ensuite une séance d'écriture (courte : 5 à 10 lignes ?), ce qui paraît à P une bonne mesure. C : "Pour cette séance, plusieurs pistes, : utiliser dans sa production des mots issus d'une (ou deux) catégorie(s), utiliser au moins un mot de chacune des catégories" P : il me semble qu'on pourrait leur laisser plus de liberté. C : "écrire à partir d'une phrase inductrice, comme « promenade mouvementée en bord de mer ». P : c'est ce qu'on appelait autrefois un "sujet de rédaction" C : "écrire à partir d'une image (photo, dessin...)" P : Oui, cela peut être intéressant. C, à propos de manger : "Enfin, une dernière séance a été consacrée à une production écrite, avec pour consigne d'utiliser le vocabulaire recueilli et d'y glisser des expressions figurées. J'ai proposé, sans l'imposer, le thème « repas à la cantine ». Les élèves m'ont réclamé tout au long de la semaine cette séance d'écriture, et y ont pris, semble-t-il, beaucoup de plaisir. Y compris pour ceux, peu à l'aise avec l'écrit, qui se sentent rassurés par la longueur demandée de la production (une dizaine de lignes), et par l'appui constitué par le vocabulaire écrit au tableau. La plupart a ensuite souhaité lire ce qu'ils avaient écrit au reste de la classe". P : "Tout cela est extrêmement positif ! C m'a envoyé un florilège de ces productions. Les élèves s'en sont donné à cœur joie avec les expressions figées et les sens figurés. Cela donne des textes très vivants plutôt humoristiques. Je fais tout de même remarquer que le travail sur les dérivés, notamment les nominalisations de verbes, et les dérivés savants à base latine ou grecque, permettrait d'écrire dans un autre style, certes moins vivant, plus abstrait, qui pourrait être celui d'un journal de classe".

Projets, discussions, conclusions

Tout cela laisse penser qu'il faudrait pour une leçon, au moins trois séances de 40 ou 45 minutes : une pour le déballage, le classement et les définitions, une pour le sens figuré et les exercices d'assouplissement syntaxique, et une pour les exercices écrits. Et peut-être même une quatrième pour la correction des productions écrites et l'exploitation de ce que permettent les classements sur base actancielle, en matière d'analyse grammaticale.

Après froid et chaud à peine effleuré, F et C ont proposé de s'attaquer au mot train. B a proposé de travailler les "verbes de mouvement". Il s'est intéressé à tomber, tout en regrettant qu'il soit intransitif. Mais non ! l'auxiliaire de mode faire lui confère la transitivité : J'ai fait tomber / renversé le vase de Sèvres, il s'est cassé.

C "Dans ce déroulement, dont nous avons discuté, certaines choses me laissent cependant sur ma faim. Dans un premier temps les élèves cherchent des mots puis il y a un approfondissement orienté et une production d'écrits, le tout se déroulant sur une semaine. La semaine suivante on passe à un autre mot etc..." P : En effet, parmi les 442 articles du DFU, pourquoi choisir celui-ci plutôt que celui-là ? D'où l'intérêt de les classer par ordre de difficulté pour prévoir une progression, et attribuer préférentiellement certains articles à telle ou telle classe de l'école primaire et du collège, chose faite à la rentrée. Des listes ont été élaborées pour chaque classe, avec un ordre préférentiel à l'intérieur de ces listes

B. : "Pour l'instant ma préoccupation est de réussir, grâce à ce déclencheur et l'établissement de quelques principes de base, une leçon de vocabulaire "type" qui pourrait être préconisée aux enseignants du primaire (avec présentation d'un DFU simplifié, par exemple). Mais nous n'en sommes pas encore là". P : Tout ce qui précède montre qu'il y a forcément différents types de leçons et que la leçon de vocabulaire doit être à la fois préparée (aperçu des diverses pistes ouvertes pas le DFU) et improvisée (saisir au vol ce que "déballent" les élèves et l'exploiter sur le vif). Sous peine de figement et de priver les élèves de leur plaisir, vous n'arriverez jamais à proposer des leçons de vocabulaires toutes faites que l'enseignant, sans la moindre préparation personnelle n'aurait qu'à régurgiter à ses élèves. B : oui bien sûr... Disons une modélisation qui donne des directions de travail efficace ! P : cela, oui ! il me semble que A, F et C nous en ont donné de bons exemples.

C et F se demandent l'un et l'autre qu'il va rester de tout cela. F. "J'ai la sensation qu'il ne reste pas grand chose de ce travail une fois la production d'écrits terminée. Mais peut-être le but est-il ailleurs ? L'objectif est peut-être plus d'apprendre, pour les élèves, à aborder un mot différemment quand il ne le connaît pas. C'est peut-être là l'objectif, être capable, avoir les moyens de s'interroger sur un mot quand on est confronté à une difficulté de vocabulaire. Pourtant le fait de connaître du vocabulaire est lui aussi important. Je suis conscient que je ne peux pas voir de résultats au bout de deux tentatives, et puis il s'agit d'expérimentations que nous menons. Je pensais avoir compris un certain nombre de choses et puis je me retrouve à douter. Qu'en pensez-vous ?" P : je pense que votre doute vous honore, Fabrizio, et que votre réflexion est excellente. Oui, c'est vrai, c'est important que les élèves aient "acquis" des mots qu'ils ne connaissaient pas et qu'ils ne fassent pas de contresens sur leur signification. Ils n'en auront acquis que quelques uns parmi tous les possibles du champ sémantique envisagé. Mais enfin, on acquiert du vocabulaire pendant toute sa vie. Donc, il est encore plus important qu'ils aient acquis de bonnes méthodes et qu'ils les appliquent spontanément, sans même y penser, quand ils seront confrontés à de nouveaux mots, donc à de nouveaux objets, à de nouveaux concepts, et cela les aidera dans leur vie.

 

 

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