Pistes de travail

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Jacqueline Picoche trace

QUELQUES PISTES DE TRAVAIL

 

 

QUATRE ÉTAPES PAR MOT

Voici quelques pistes qui devraient aider à passer à l’action ceux qui se sont bien imprégnés des quatre principes fondamentaux de cette méthode. Selon le niveau de la classe, la capacité d'attention des élèves, le temps dont vous disposez et vos initiatives personnelles - car vous y disposez d’une grande liberté - il ne devrait pas y avoir, sur le même sujet, deux leçons exactement semblables.

 

Une leçon Vocanet comporte quatre étapes qui donnent lieu à un minimum de quatre séances, davantage si c’est possible et si vous en éprouvez le besoin, mais pas moins.

 

1. La collecte des mots, le "grand déballage"

Selon la consigne de « partir du déjà su » de nos quatre principes, nous essayons de nous faire une idée des mots que connaissent déjà nos élèves en leur demandant à quoi leur fait penser le mot-vedette qu’on a choisi dans les tableaux par niveaux, selon vos inspirations et qui est dans tous les cas évidemment connu de tous. Cette étape doit être entièrement orale. L’enseignant seul a le privilège d’écrire au tableau les mots qui jaillissent dans la classe. Si nous en croyons les retours qui nous arrivent, les élèves prennent plaisir à montrer leur savoir, les doigts se lèvent facilement, les yeux brillent, et ce début les met en appétit pour la suite, un peu plus austère. Naturellement les élèves disent ce qui leur vient à l’esprit, les mots arrivent dans le plus grand désordre. Que fait alors l’enseignant pour canaliser ce flot ?

 

Prenons l’exemple emblématique du verbe manger.

 

Suite à la question « à quoi vous fait penser le mot manger ? » les élèves citeront certainement toutes sortes de mets, (viande, pizza, fraises, glace, etc. etc) et toutes sortes des mots pertinents (bouche, dent, estomac, restaurant, cantine, fourchette).  Mais vous n’êtes pas à l’abri de quelques fantaisies : un élève peut bien lancer les ogres, ou bien les dinosaures ! À la question Pourquoi les dinosaures ? il se pourrait que l’élève réponde parce qu’ils mangeaient beaucoup. Alors l’enseignant ne censure pas, mais tire parti : Il s’agit de voir quel mot peut en émaner et d’oublier le dinosaure, car on ne peut pas dresser la liste de tous les êtres vivants qui mangent.

 

Et l’on reviendra aux questions destinées à faire sortir le mot appétit, révéler la locution gros mangeur… et le contraire de gros mangeur ? Quelqu’un qui a un appétit d’oiseau Vous en voyez, à la cantine, qui sont de gros mangeurs ou qui ont un appétit d’oiseau? Oui Untel… Untel. - Et quand dit-on à quelqu’un Bon appétit?” etc. L’enseignant a déjà pu écrire au tableau faim, dévorer bouffer, appétit, un gros mangeur, un appétit d’oiseau tous mots o expressions réutilisables lors de la prochaine séance.

 

En résumé, l’enseignant ne se laisse par entièrement guider par les trouvailles de ses élèves. Il aura préparé sa leçon en jetant un coup d’œil à la petite fiche Picoche ou mieux, à l’article correspondant Vocalire qui lui montre l’ensemble des ressources linguistiques de ce mot. Il pourra visionner la petite vidéo, lorsqu’il y en a. Si c’est un mot très riche l’enseignant ne pourra évidemment pas l’exploiter entièrement. Mais il est bon qu’il ait en tête quelques mots qu’il s’arrangera à faire découvrir, par exemple repas, convives, comestible, aliment, et s’alimenter parce qu’il sent qu’il pourra les utiliser dans les séances suivantes.

 

Il est très important d’avoir bien à l'esprit que nous faisons une leçon de langue et pas une leçon de choses. Méfions-nous des listes ou des répertoires. Il est clair que le grand déballage va vous fournir à foison une liste interminable de mots. Ne tombons pas dans le piège ! Acceptons-en quelques-uns. De même que nous avons refusé de faire la liste de tous les êtres vivants qui mangent, refusons de faire une trop longue liste par exemple de noms d’aliments qui n’aurait aucun intérêt pour le fonctionnement du verbe manger. Ce qui nous importe ce n’est pas de produire une leçon de cuisine, de restauration, ni d'anatomie, car vous n’êtes pas cuisinier, ni restaurateur, ni anatomiste, vous enseignez la langue française. Ce qui nous intéresse est, autrement dit, de faire fonctionner, à travers les étapes successives, les ressources linguistiques du mot vedette choisi.

 

Pour ce faire, en préparant une leçon de vocabulaire, l’enseignant ne doit pas se dire « de quoi vais-je parler, à partir du mot-vedette choisi ? » mais « quels sont les faits de langue que ce mot-vedette va me permettre d’aborder et d’enseigner à mes élèves ? » de façon implicite ou plus ou moins explicite.

 

Pour s’en tenir à ce principe, voici les questions que l’enseignant doit avoir en tête. Qu’il soit bien clair qu’elles sont destinées à sa préparation personnelle et ne sont pas destinées à être posées telles quelles à de très jeunes élèves sinon peut-être au niveau de bonnes classes de 6e ou de 5e, car enfin une leçon en grande section maternelle et une leçon en 5e ce n’est pas précisément la même chose.

 

Dans tous les cas

Ce mot a-t-il

  • des synonymes ? déguster, se nourrir

  • des dérivés, une famille ? mangeur, mangeable

  • des sens figurés ? manger des yeux

  • des antonymes ? jeûner

Ce mot rentre-t-il

  • dans des mots composés ? garde-manger

  • dans des locutions figées, des proverbes ? ça ne mange pas de pain (Les fiches J. Picoche et Vocalire proposent les plus pertinentes, on pourra aussi exploiter utilement le site Expressio).

Si c’est un verbe

  • Est-il transitif ou intransitif ?

  • Quelles sortes de compléments accepte-t-il ? COD ? COI ? complément circonstanciel ? lesquels ?

  • Accepte-t-il comme complément seulement un nom ou aussi une proposition ?

  • Y a-t-il des noms spécifiques qui ont une affinité particulière avec ce verbe, soit comme sujet, (dans notre exemple, convive ...)

Si c’est un nom

Exemple : la mer

  • À quels genres de verbes peut-il servir de sujet ? (monter et baisser).

  • À quels genres de verbes peut-il servir de complément et quel genre de complément ? guère en position de COD, mais nombreux compléments circonstanciels à la mer, au bord de la mer, en (pleine) mer, sur mer, sur la mer, dans la mer, au fond de la mer (attention aux prépositions et aux articles).

  • Quels adjectifs peuvent le qualifier ? quelques adjectifs spécifiques : belle, mauvaise, agitée, poissonneuse.

Si c’est un adjectif

Exemple : dur

  • A-t-il des antonymes ? mou, souple.

  • Quels genres de noms peut-il qualifier ? des noms concrets (le granit), des noms abstraits (un problème) des sujets humains (il y a des parents durs, sévères, avec leurs enfants, des enseignants durs avec leurs élèves),

  • A-t-il des affinités avec certains verbes ? casser, plier

Exemples pratiques : si vous avez en tête la question ce mot a-t-il des dérivés ? vous n’oublierez pas de faire apparaitre mangeable et de faire remarquer ce petit élément –able qui ajoute quelque chose au sens du verbe manger.

Si vous avez en tête ce mot a-t-il des antonymes ? à propos de dur vous demanderez s’il y a des mots qui disent le contraire et vous obtiendrez mou.

Si vous avez en tête la question ce mot a-t-il des sens figurés ? lorsque vous aurez trouvé dévorer et déguster vous vous arrangerez à faire trouver qu’on peut dévorer non seulement un sandwich mais aussi un livre. C’est ainsi qu’on joue avec les mots et vous êtes le maitre de ce jeu.

 

2. Classement et catégorisation

Ce sera un classement sémantique qui aura tout de même un substrat grammatical (implicite pour les petites classes).

 

Pour notre exemple manger je vais m’occuper d’abord du sujet.

  • Qui mange ? Les êtres humains, les animaux (les plantes se nourrissent).
  • Ce qu’il fait : il mange il dévore, il bouffe, il grignote. Et je ne manquerai pas de faire remarquer la différence de registre de langue entre manger (courant),  bouffer (familier, voire très familier) et s’alimenter ou se nourrir (soutenu).

  • Ce qui le qualifie (ses attributs) : il est gourmand, sobre.

  • Ce qui peut le dénommer : c’est un glouton, un gastronome et je peux faire remarquer (en employant ou non, selon le niveau de la classe les termes nom et adjectif) que je peux ou non mettre l’article (ou « le petit mot ») un devant gourmand, glouton, gastronome mais pas devant sobre. Les réponses feront peut-être sortir des phrases différentes selon la présence ou l’absence de l’article.

Ensuite, je vais m’occuper implicitement ou explicitement du COD.

  • de cette interminable liste de noms de mets servis à table, qui était proposée à l’étape 1, et je vais faire trouver, ou proposer, les mots génériques aliment et nourriture avec les verbes correspondants s’alimenter et à se nourrir (je doute qu’on ait le temps de distinguer finement ces deux synonymes). Je retiendrai tout de même quelques noms de mets et je les ferai qualifier. C’est justement entre délicieux, exquis, quelconque et fade que je penserai à introduire mangeable en faisant remarquer au passage le suffixe –able. Et aussi immangeable, à condition que la leçon sur manger ne se transforme pas en une leçon sur les préfixes et les suffixes.

Et puis viendra le tour de tous les compléments circonstanciels.

  • qui feront apparaitre le déjeuner, le diner, la cantine, le restaurant, la table qui réunit des convives etc. etc. avec le risque de retomber dans la leçon de choses, mais il en faut bien un peu.

On voit, par ce type de manipulations qu’il devrait être facile d’introduire une terminologie grammaticale de base à un niveau élémentaire et que des élèves encore tout jeunes devraient comprendre facilement des demandes comme « Trouve-moi un sujet pour ce verbe » ou « Trouve-moi les meilleurs adjectifs pour qualifier ce nom ».

Dès que les élèves le peuvent, il faut qu’en fin de séance, ils écrivent ces mots, ou au moins quelques-uns d’entre eux dans un élément de classement qui peut prendre la forme d’une marguerite ou de colonnes, ou de pages de carnet …. On n’évitera pas les listes de mots, mais ces listes ne seront que les aide-mémoires de phrases orales qui ont été prononcées et dont quelques-unes seront écrites à l’étape suivante.

 

3. L'assouplissement syntaxique

Outre les mots, il va bien falloir finir par écrire quelques-unes de ces phrases lancées au vol, et se demander si elles sont claires, si elles disent bien ce qu’elles veulent dire, et s’il n’y aurait pas moyen de dire les choses mieux ou autrement.

 

Oui ! Il y a moyen de dire les choses autrement sans toucher à la syntaxe en substituant un synonyme à un autre. Nous avons vu cela à l’étape n°2.

 

Voici une phrase exemple : On a réparé la route.

 

Qui on ? - des terrassiers, je les ai vus. Va-t-on écrire Des terrassiers ont réparé la route ? Ce serait tout à fait correct, mais peu expressif. On pourrait mieux dire J’ai vu des terrassiers réparer la route. Utilisons la petite formule c’est/ce sont qui permet de mettre en valeur un élément ou un autre de la phrase : Ce sont des terrassiers qui l’ont réparée Et le rond-point ? – Non ! C’est la route qu’ils ont réparée, pas le rond-point. Mais si ce qui nous intéresse ce n’est pas qui a réparé la route, on pourrait se contenter de dire, au passif, La route a été réparée. On peut aussi dire la même chose avec un nom plutôt qu’un verbe : la réparation de la route, mais voilà, ce n’est pas une phrase complète, trouvons-lui une suite… par exemple la réparation de la route permet de mieux circuler.

 

Maintenant comparons ces deux manières de dire les choses :

  1. On a réparé la route ; ça circule mieux.

  2. La réparation de la route facilite la circulation.

Laquelle préférez-vous ? Pourquoi ? Dans quelle situation emploierez-vous l’une plutôt que l’autre ?

 

Pour en revenir à manger : Au déjeuner, on a mangé une pizza, un yaourt, et des fraises. Dis la même chose en utilisant le nom repas :

 

Mêmes questions que pour la réparation de la route

 

Ah ! Les dérivés des verbes ! Quelle ressource pour les assouplissements syntaxiques ! Et n’oubliez pas qu’il y en a qui se cachent sous des noms inattendus, que le dérivé (sémantique) utile de dormir est sommeil et chute celui de tomber. Les petites fiches Picoche et Vocalire vous le diront.

 

Et puis de deux phrases on peut en faire une seule en joignant la seconde à la première au moyen d’un petit mot appelé conjonction.

 

Et voilà comment la leçon de vocabulaire débouche sur l’exercice de style.

 

4. L'exercice écrit

Il dépend, bien entendu du niveau. En grande section maternelle c’est l’enseignant seul qui écrira au tableau ou sous une image une ligne réemployant quelques-uns des mots à mémoriser, si vraiment on juge utile de mettre de l’écrit sous les yeux de qui ne sait encore ni lire ni écrire.

 

Peu à peu, d’une classe à l’autre, les élèves deviendront capables de produire un petit paragraphe original sur un sujet donné. Quel que soit le niveau, pour que l’exercice de rédaction soit vraiment utile, il faudrait que les productions écrites soient corrigées, qu’on puisse discuter en classe non pas de toutes, chose impossible, mais de quelques-unes, anonymement, sans diminuer ni glorifier leurs auteurs (l’un de vous a écrit ceci … un autre cela…). Montrer ce qu’ils ont écrit de bien, ce qu’ils auraient pu écrire mieux… À l’enseignant de décider si cette petite rédaction se place à la fin de la troisième séance ou au début de la quatrième pour laisser plus ou moins de place à la correction.

 

Et pour finir, pourquoi ne pas leur faire admirer, si on l’a sous la main, une belle phrase qu’un grand auteur a écrite sur le sujet. Par exemple : Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger C’est bien dit ? Elle vous plait, cette phrase ? Pourquoi ? Sachez qu’elle plaisait beaucoup à un vieil avare qui ne voulait pas trop dépenser en nourriture.

 

 

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